Quand l’invit ?e d’honneur de la matin ?e les fait parler du sida, les enfants de l’ ?cole primaire de Dobsonville, ? Soweto, se pressent pour r ?pondre : ? C’est un virus ! ?, dit l’un. ? Les gens sont tout maigres, puis ils meurent ?, r ?pond l’autre. ? Il faut utiliser des pr ?servatifs ?, encha ?ne le troisi ?me en rougissant. Peinte depuis plusieurs mois sur le mur de l’ ?cole, une fresque reprend, entre le ruban rouge et un dessin de pr ?servatif, les slogans omnipr ?sents des campagnes de pr ?vention : ? Le sida est ici. C’est une r ?alit ? ?, ? Abstinence - Fid ?lit ? - Condoms ?, ? Un ami sid ?en reste un ami ?, ou, plus ?nigmatique, ? Aimez-les assez pour en parler ?. Abreuv ?s d ?s le plus jeune ?ge de ces messages, les enfants sont n ?anmoins captiv ?s quand Mme Mercy Makhalemele leur annonce qu’elle est s ?ropositive depuis une dizaine d’ann ?es : elle est si belle ! Elle dansait si bien tout ? l’heure au moment des chants ! Comment pourrait-elle ?tre malade ?
? Obsession nationale ?
Son histoire est tristement banale. ? Quand j’ai dit ? mon mari, lors de ma seconde grossesse, que j’avais ?t ? test ?e positive, il m’a insult ?e et frapp ?e- quatorze points de suture. Puis il m’a jet ?e dehors avec Thaban, notre fils. Le lendemain, il est venu me voir au magasin, o ? je travaillais comme g ?rante, pour me dire de prendre mes affaires, car il ne pouvait pas vivre avec une s ?ropositive. Un coll ?gue a d ? t ?l ?phoner au patron, et le soir m ?me j’avais perdu mon poste. ? Sans toit ni travail, commence une aventure moins ordinaire : ? Mon p ?re m’a appris que ce que l’on vit, des milliers d’autres personnes le vivent aussi. ? Ce virus silencieux, elle se consacre d ?s lors ? le rendre visible, dans les ?coles, les rencontres internationales, les m ?dias.
A l’h ?pital Chris Hani Baragwanath, Mme Makhalemele est conseill ?e par la jeune p ?diatre Glenda Gray et l’obst ?tricien James McIntyre, qui viennent d’ouvrir un petit service de recherche p ?rinatal VIH/sida. Neuf ans plus tard, ce service compte une quarantaine de chercheurs - ? Je passe mon temps ? recruter ! ?, soupire Mme Gray - et a suivi, en 2001, 13 313 femmes enceintes et leurs b ?b ?s. Il est aussi au centre de l’affaire de la n ?virapine, qui a secou ? l’Afrique du Sud. Install ? au dernier ?tage du plus haut b ?timent de Soweto, il surplombe White City et ses toits de b ?ton qui prot ?geaient des cocktails Molotov les familles des policiers blancs. Derri ?re les collines s’ ?talent les maisons ? bo ?tes d’allumettes ? des 1 ? 1,5 million d’habitants de la township. Dont 30 % des jeunes adultes sont - si l’on en juge par le d ?pistage effectu ? chez les femmes enceintes - infect ?s par le VIH.
Administr ?e six heures avant l’accouchement, la n ?virapine - un antir ?troviral de seconde g ?n ?ration - offre une chance aux femmes enceintes d’ ?viter de transmettre le virus au b ?b ?. Le risque de contamination cong ?nitale chute de moiti ?, passant de 30 % ? 15 %. ? Quand nous leur exposons les risques de transmission du virus lors de l’accouchement, explique Mme Agn ?s Fiamma, chercheuse en sant ? publique dans ce service, la quasi-totalit ? des femmes acceptent de subir un test de d ?pistage pour pouvoir, si besoin est, b ?n ?ficier de la n ?virapine. ? Mais ce qui va de soi pour les m ?decins et pour les futures m ?res a rencontr ?, jusqu’au 5 juillet 2002, une opposition syst ?matique de la part du gouvernement sud-africain (lire Une Constitution en actes). Au-del ? de la n ?virapine, le secteur public ne peut offrir aucun m ?dicament antir ?troviral, ? l’exception des traitements prophylactiques d’urgence en cas de blessure accidentelle pour le personnel soignant et, depuis peu, pour les rescap ?(e)s de viol.
Diffus ? en mars 2002 aux sph ?res dirigeantes du Congr ?s national africain (ANC), le parti au pouvoir, un document de 120 pages non sign ? montre l’ ?tendue de la parano ?a des dirigeants les plus oppos ?s aux traitements. Des chercheurs y sont accus ?s de meurtre, des militants pr ?sent ?s comme ? la solde des laboratoires pharmaceutiques. Une logique tortur ?e attribue ? la toxicit ? de l’AZT le d ?c ?s ? 36 ans du porte-parole de la pr ?sidence, Parks Mankahlana, un farouche opposant... aux antir ?troviraux. ? Il ne fait aucun doute, simplement ? cause des chiffres de l’ ?pid ?mie, que certains politiciens sont s ?ropositifs ?, souligne Mme Gail Johnson, la m ?re adoptive de Nkosi, cet enfant de neuf ans qui avait ?mu le monde ? la conf ?rence de Durban en juillet 2000. ? Chaque fois que l’un d’eux meurt, la rumeur parle de sida. C’est peut- ?tre vrai, poursuit-elle, et alors ? Le probl ?me, comme personne ne parle ouvertement, c’est que ?a tourne ? l’obsession nationale. ?
Cinq millions de Sud-Africains sont contamin ?s, mais seuls 10 % d’entre eux le savent. Dans cette situation, le flirt pouss ? du pr ?sident Thabo Mbeki et d’autres membres de haut rang de l’ANC avec les ? scientifiques dissidents ? qui nient le lien entre le virus (VIH) et le syndrome (sida) n’est pas sans cons ?quences. Fin avril 2002, les pressions de la communaut ? internationale et la mont ?e des critiques internes, notamment par la voix de M. Nelson Mandela, ont contraint la pr ?sidence ? prendre ses distances avec les ? dissidents ?.
Mais ? cette attitude de d ?ni, deux ans et demi durant, nous a ramen ?s en arri ?re de fa ?on tragique, analyse M. Edwin Cameron, professeur de droit et ancien juge ? la Cour constitutionnelle. Parce qu’elle a accru la honte autour du sida. Nous ?tions tout juste arriv ?s au point o ? les gens - ministres, d ?put ?s, membres des gouvernements provinciaux, amuseurs publics, popstars, joueurs de football, etc. - ?taient pr ?ts ? parler ouvertement de leur s ?ropositivit ?. Les doutes exprim ?s publiquement par le pr ?sident ont recr ?? toutes les inhibitions. Ils ont raviv ? la mystique, l’horreur, la honte et la stigmatisation qui entourent cette maladie. Pourtant, le combat contre le silence autour du sida est essentiellement un combat pour les droits humains les plus ?l ?mentaires. ? Suivies m ?dicalement dans le secteur priv ?, craignant de se voir taxer de racisme ou de d ?loyaut ?, les c ?l ?brit ?s se taisent, laissant la population dans la confusion et l’ignorance. Le 27 avril, jour de la Libert ?, est le huiti ?me anniversaire du premier scrutin d ?mocratique. A la t ?l ?vision, M. Mbeki discute au t ?l ?phone avec le millionnaire Mark Shuttleworth, qui se trouve ? bord de la station spatiale internationale : ? La nouvelle Afrique du Sud, se f ?licite le pr ?sident, a cr ?? des possibilit ?s pour tous nos concitoyens, dont celle d’aller dans l’espace. ?
? Nous sommes si ignorants ! ?
En contrebas, les gamins des ?coles de Soweto s’appr ?tent ? c ?l ?brer l’ ?v ?nement en dansant. Mme Gandhi Mahlamvu s’installe ? l’ombre d’un des rares arbres de la township. Elle survit ? Kliptown, le quartier o ? elle est n ?e il y a 28 ans, gr ?ce ? la maigre pension de retraite de sa grand-m ?re : ? Les gens ne vont pas aux r ?unions d’information. Ils pensent que c’est une perte de temps : vous avez la grippe, vous avez le sida, c’est pareil... A l’Eglise de Zion, on pr ?tend qu’on peut gu ?rir par la pri ?re. On dit aussi que les sangomas - les gu ?risseurs traditionnels - connaissent des herbes efficaces. ? Les m ?decins ? ? J’esp ?re qu’un jour ils trouveront quelque chose... J’ai entendu parler de... l’AZT, je crois... ? Le proc ?s sur la n ?virapine ? Les antir ?troviraux ? ? Je ne sais pas. Nous sommes si ignorants ! ?
Dans ces quartiers d ?sh ?rit ?s, la confusion r ?gne. Et pourtant... Gandhi fait du travail social, arpente les shacks ? la recherche des sid ?ens qui se terrent pour mourir ? l’abri des regards. ? D ?s que tu dis que tu es s ?ropositif, les gens te traitent comme un sous-animal. Tu ne peux plus sortir de ta maison, aller dans la rue. Beaucoup se suicident. Les autres pr ?tendent que c’est le diab ?te qui les fait maigrir. ? Gandhi cite la Bible et explique : ? Ce qui nous tue, c’est la pens ?e mat ?rialiste. Nous, les filles, nous aimons les gar ?ons qui ont une voiture. C’est comme ?a que la pauvret ? nous pousse vers le VIH. A la maison, nous n’avons rien, et voil ? ce gars qui arrive les mains pleines... ? Nombre de sociologues et de m ?decins sud-africains d ?crivent un panorama de relations sexuelles ? transactionnelles ? : ainsi, lorsque le prix du taxi est inabordable faute de revenu (et en l’absence de transports publics), une jeune fille est tent ?e de recourir ? un ? ministre du transport ?. Elle aura aussi, selon les cas, son ? ministre des finances ?, son ? ministre des loisirs ?. Les sugar daddies (papa sucreries) font la sortie des ?coles avec leurs cadeaux - fringues de marque, t ?l ?phone mobile. L’apartheid a port ? le machisme et la violence sexuelle ? des niveaux accablants. Pour une population de 43,8 millions d’habitants, la journaliste Charlene Smith cite le chiffre annuel d’un million de viols... Une violence qui explique, pour partie, la vitesse avec laquelle l’ ?pid ?mie s’est r ?pandue dans le pays (1).
Plus tardive qu’ailleurs, l’explosion du sida a aussi ?t ? plus d ?tonante : les orphelins se comptent par centaines de milliers ; les projections indiquent qu’ils seront 1 million en 2005, et 2,5 millions en 2010 (2). Rien qu’en Afrique du Sud ! Les journaux s’alarment d ?j ? de voir des bandes d’enfants des rues se tourner vers la violence, et se demandent comment le pays pourra encaisser pareil choc. Ces ? menaces ?, toutefois, masquent la r ?alit ? que vivent les premiers int ?ress ?s : la plupart des enfants peinent, tout simplement, ? obtenir le certificat de d ?c ?s de leurs parents ? ou leur certificat de naissance, signale Mme Linda Aadnesgaard, qui anime ? Pietermaritzburg, la petite capitale du KwaZulu-Natal, un programme d’aide aux orphelins. Pour l’administration, ils n’existent pas ! Or, sans ces papiers, ils n’ont ni aide sociale ni inscription gratuite ? l’ ?cole ?.
Le logement, les heures d’attente ? l’h ?pital, les ruptures d’approvisionnement des pharmacies, les policiers qui refusent d’enregistrer les plaintes pour viol, les proc ?s qu’il faut intenter ? l’Etat pour obtenir les papiers, les dossiers d’aide sociale ?gar ?s : ces probl ?mes concrets, urgents et absurdes mobilisent les ?nergies et les ressources. Et c’est ainsi que les s ?ropositifs commencent ? porter des revendications qui d ?passent tr ?s largement la question des traitements - la reconstruction des services publics, l’acc ?s ? un revenu de base inconditionnel de 100 rands (10 euros) par mois, les droits des travailleurs... autant de combats dans lesquels ils se retrouvent en pointe.
? Un accessoire de mode ?
? En 1990, seules 1 % des femmes enceintes du KwaZulu-Natal ?taient s ?ropositives, rappelle le docteur Paul Kocheleff, qui dirige les cliniques VIH des deux h ?pitaux de Pietermaritzburg, celui de la ville et celui de la township. Aujourd’hui, ce taux de pr ?valence ant ?natal est pass ? ? 36 % ! A l’h ?pital, la moiti ? environ des lits sont occup ?s par des malades du sida. ? Apr ?s avoir long ? les champs fertiles des grandes fermes blanches du Natal, la route des mille collines, qui conduit vers la c ?te, se met ? serpenter dans un paysage ocre, mouchet ? de petites cases familiales. Pas un de ces foyers n’ ?chappe ? la maladie. Ici le virus touche probablement 80 % des jeunes adultes. Ici, disent les Sud-Africains, ? les gens meurent comme des mouches ?. La courbe des d ?c ?s, qui suit de cinq ? dix ans celle des infections, n’a pourtant pas atteint son point d’inflexion.
Pour M. Kocheleff, il est urgent de repenser un syst ?me de soins incapable d’assurer la prise en charge des centaines de milliers de malades ? venir : ? Les diff ?rents h ?pitaux, centres de sant ? et dispensaires ne savent pas utiliser leurs ressources - les malades les plus touch ?s n’atterrissent pas dans les services sp ?cialis ?s, qui sont submerg ?s de patients venus chercher de simples ordonnances. L’ ?chelle de l’ ?pid ?mie nous oblige ? adopter des solutions in ?dites : notre projet est de confier aux communaut ?s la prophylaxie des maladies opportunistes les plus courantes, tout comme le suivi d’indicateurs cliniques de base. Elles nous enverraient les cas difficiles. ? Le pari, au fond, consiste ? ? construire un r ?seau capable d’atteindre une part importante de la population quand les antir ?troviraux arriveront enfin ?.
Trop chers pour les pays les plus pauvres, ces m ?dicaments sont au coeur des d ?bats sur la mondialisation : les brevets peuvent-ils passer avant le droit ? la vie ? Quels sont les crit ?res d’ ? urgence sanitaire ? qui permettent de produire ou d’importer des m ?dicaments g ?n ?riques, de faire jouer la concurrence entre laboratoires pour faire baisser les co ?ts ? Au proc ?s de Pretoria, en avril 2001, l’Association sud-africaine des laboratoires pharmaceutiques (PMA) avait subi une d ?faite humiliante face au gouvernement, qui d ?fendait, avec l’appui de la campagne d’action pour les traitements (Treatment Action Campaign, TAC), un projet de loi sur l’utilisation des g ?n ?riques. Or, un an apr ?s cette d ?b ?cle des multinationales, la loi en question n’a toujours pas ?t ? promulgu ?e. Medscheme, une des plus importantes assurances priv ?es, qui tente d’anticiper la loi en encourageant la substitution de g ?n ?riques aux m ?dicaments ? de marque ?, se voit m ?me menac ?e par la PMA d’un recours devant la commission de la concurrence.
? Par un communiqu ? de deux lignes, s’ ?trangle M. Zackie Achmat, le minist ?re de la sant ? vient de faire savoir que cette loi va devoir repasser devant le Parlement. Nous allons encore perdre deux ann ?es ! ? A la t ?te de TAC depuis sa cr ?ation, il y a ? peine quatre ans (3), M. Achmat a construit un mouvement social original, qui balaie le pays. ? On nous pr ?sente parfois comme un groupuscule d’anciens trotskistes, s’amuse-t-il, ce que nous sommes en partie (4). Mais cette campagne est surtout un mouvement populaire soutenu par les ?glises, les syndicats, le personnel soignant... et pas mal de membres de l’ANC. Dans la province du Cap, nous avons des milliers d’adh ?rents, comme dans le Gauteng (la province de Johannesburg et Pretoria) ou dans le KwaZulu-Natal. A Gugulethu, une township de la banlieue du Cap, nos r ?unions sont pr ?sid ?es par la fille du pasteur, et commencent par des pri ?res ! ?
Les ann ?es Mandela (1994-1999) ont vu, au sein de l’ANC, la strat ?gie lib ?rale incarn ?e par M. Mbeki (privatisations, discipline budg ?taire, march ?) l’emporter sur une tendance plus interventionniste, qui r ?clamait des nationalisations et des investissements sociaux plus ambitieux. Si la richesse du pays a fait un bond, le ch ?mage a aussi grimp ? en fl ?che. ? L’ ?pid ?mie va encore ?largir le gouffre des disparit ?s de revenu, note, au si ?ge sud-africain de la banque d’affaires J. P. Morgan, M. Paul Hartdegen, auteur d’une pr ?sentation d ?taill ?e sur l’impact ?conomique du VIH-sida. Les m ?nages modestes vont consacrer une part toujours plus importante de leur revenu disponible ? leurs frais de sant ?. Pour les employeurs, en revanche, le co ?t de l’assurance m ?dicale, traitements compris, est parfaitement ma ?tris ?. Ainsi, dans les mines d’or, le surco ?t de production ne sera que de 0,5 % du cours mondial. ? Le sida, on le sait, prosp ?re sur le terreau des in ?galit ?s et des rapports de domination ; il est aussi, d’apr ?s cette ?tude, un des principaux facteurs d’in ?galit ?.
Les pauvres ont-ils droit ? la m ?me m ?decine que les riches ? Cette simple question, pos ?e par TAC, prend une r ?sonance particuli ?re au pays de l’apartheid. Alors que les traitements existent et sont accessibles dans les cliniques priv ?es, pourquoi ne sont-ils pas disponibles dans les h ?pitaux publics ? Comment construire un syst ?me public de sant ? capable de faire face ? la catastrophe sanitaire ? ? Un visage m ?connu de notre travail est la formation scientifico-m ?dicale des patients, signale aussi M. Nathan Geffen, le coordinateur national de la campagne. Quand les gens qui connaissent TAC vont ? l’h ?pital, ils sont plus exigeants, ils savent de quels m ?dicaments ils ont besoin. Ils sont aussi mieux pr ?par ?s ? affronter la maladie. ? Les adh ?rents sont arriv ?s en masse, explique-t-il, ? avec le programme de pr ?vention de la transmission m ?re-enfant mis en place, ? partir d’ao ?t 1999, par M ?decins sans fronti ?res ? Khayelitsha ?. Au milieu des dunes s’ ?tend ce gigantesque bidonville, o ? le r ?gime ? relogea ?, dans les ann ?es 1980, les r ?sidents de plusieurs townships du Cap. Eloign ?s de tout, les 500 000 habitants ne disposent d’aucune infrastructure, si ce n’est, au ? centre-ville ?, d’un petit supermarch ?, d’une station-service et d’une clinique. C’est l ? que TAC et MSF partagent des bureaux, dans l’unique b ?timent d’un ?tage.
Quand, il y a trois ans, le docteur Eric Goemaere s’installe dans le pr ?fabriqu ? ? TB ? (tuberculose) cach ? derri ?re la clinique, la population ? est en plein d ?ni. Elle confond VIH et sida : "Tant que je ne suis pas malade, je ne suis pas touch ?" ?. Apr ?s avoir repris en main un programme de pr ?vention de la transmission m ?re-enfant laiss ? ? l’abandon par un personnel m ?dical se m ?fiant des antir ?troviraux, le m ?decin sans fronti ?res belge a pu, gr ?ce ? des essais th ?rapeutiques, proposer des traitements aux plus malades. ? 220 personnes sont maintenant sous traitement. Chaque mois une commission de m ?decins et de repr ?sentants de la population int ?gre une quinzaine de "clients" ? partir d’une ?valuation de leur ?tat de sant ?, de leur assiduit ? ? la clinique et de leur r ?le social. ?
Le docteur Goemaere nous tend deux bo ?tes de cachets - n ?virapine 200 mg et un m ?lange lamivudine 150 mg-zidovudine 300 mg. L’ ?tiquette porte la marque Far-Manguinhos : ce sont les g ?n ?riques import ?s du Br ?sil par les militants de TAC. ? Certaines des personnes soign ?es sont revenues de l’enfer : leur taux de CD4 ?tait tomb ? ? 15 (le seuil critique est fix ? ? 200). Leur charge virale est maintenant ind ?tectable. Nous f ?tons cette semaine le "club des un an sous traitement" : sans cela, ils seraient tous morts. Si ?a marche ici, ?a peut marcher partout ! ?, se f ?licite le m ?decin. ? Mais, le plus important, souligne-t-il, c’est l’impact que cela peut avoir sur la communaut ?. Actuellement, ? Khayelitsha, le T-shirt "HIV-positive" est devenu un accessoire de mode. Les gens parlent plus ouvertement ; on recense vingt-deux groupes d’auto-support... ? Conscients d’ ?tre des pr ?curseurs, la plupart des ? clients ? de Khayelitsha font de la pr ?vention, dans les ?coles et les usines ou dans des programmes t ?l ?vis ?s.
Face ? l’apartheid ?conomique et sanitaire, l’Afrique du Sud va-t-elle conna ?tre un nouveau soul ?vement populaire ? Beaucoup pensent qu’il a commenc ?, et que l’aventure de TAC servira de catalyseur ? la reconstruction sociale du pays. Epid ?miologiste, Mme Quarraisha Abdool Karim coordonnait, sous la pr ?sidence Mandela, la lutte contre le sida. A l’ ?cole de m ?decine de Durban, elle se veut ? optimiste pour la premi ?re fois depuis longtemps. On ne s’habitue pas ? voir mourir le peuple pour lequel on s’est battu. Mais les traitements sont aujourd’hui plus faciles ? tol ?rer et infiniment moins chers. Nos ?tudiants se forment en nombre, et le vaccin est ? port ?e de main ?. T ?t ou tard, dans dix ans peut- ?tre, il y aura un apr ?s-sida...