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Les Etats-Unis aux prises avec leur loi

Marianne Niosi

Wednesday 3 December 2003, by NIOSI*Marianne

Article paru dans Le Monde, ?dition en ligne du 3 d?cembre 2003.

Exxon Mobil, Coca-Cola, De Beers et des dizaines d’autres multinationales risquent des milliards de dollars pour avoir ignor? ou m?me encourag? la violation des droits humains.

Devant des tribunaux am?ricains, Colombiens, Birmans, Sud-Africains et Soudanais s’en prennent ? des g?ants commerciaux en invoquant une loi vieille de plus de deux si?cles. Vot? en 1789, l’Alien Tort Claims Act (ATCA) permet aux citoyens ?trangers de demander r?paration pour "violation de la loi des nations". D?terr?e dans les ann?es 1970, cette loi s’applique d?sormais aux manquements aux droits humains et sert ? condamner des tortionnaires qui ont s?vi sous de nombreuses dictatures. Mais lorsque des citoyens birmans s’en emparent pour d?noncer une collusion entre la compagnie p?troli?re am?ricaine Unocal et la junte militaire, la loi prend un sens nouveau et se fait des ennemis puissants.

Plus de vingt tribunaux d?j? saisis d’affaires similaires ? travers les Etats-Unis doivent d?finir ce qui constitue une aide ? la violation des droits humains pour une entreprise. "Personne chez nous n’a commis de geste d?lictueux. Nous n’avions aucun contr?le sur les militaires birmans", assurent au Los Angeles Times les repr?sentants d’Unocal, accus?e d’avoir employ? des soldats aux moeurs brutales pour surveiller la construction d’un pipeline. Les avocats de la poursuite comparent ces propos ? ceux des industriels jug?s en 1949 pour leurs agissements sous Hitler. "Il s’agit de la d?fense classique invoqu?e lors des proc?s de Nuremberg : nous n’?tions pas des nazis, nous ne faisions que profiter de leurs agissements." En tranchant en faveur des plaignants dans cette affaire en septembre 2002, trois juges californiens ont ?tabli que la responsabilit? des entreprises ?tait la m?me ? l’?tranger qu’aux Etats-Unis. "Les entreprises devraient interpr?ter cette d?cision comme un signal d’alarme, affirmait alors Christine Rosen, professeur ? Berkeley, et comprendre qu’elles ont int?r?t ? appliquer les standards am?ricains du travail ? leurs op?rations dans les pays en voie de d?veloppement." La d?finition m?me de ce qui constitue "la loi des nations" pose probl?me. Dans les jours qui viennent, un juge new-yorkais pourrait permettre ? des organisations sud-africaines de poursuivre les entreprises que l’apartheid - qualifi? de "crime contre l’humanit?" par l’ONU - n’a pas g?n? dans leurs relations commerciales. La vente de mat?riel informatique ou d’agent d?foliant - employ?s pour combattre le Congr?s national africain - au gouvernement peut-elle alors constituer un tort passible d’amende ?

Les regroupements d’industriels ont r?agi vivement ? cet "abus extraterritorial d’une loi nationale", laissant entendre que les entreprises ne doivent de comptes qu’aux gouvernements des pays o? ils font affaire. Dans une vision apocalyptique, l’Institute for International Economics, un think tank proche de grandes entreprises am?ricaines, pr?dit "300 000 emplois perdus aux Etats-Unis, 2 millions ? l’?tranger et la perte de plus de 70 milliards de la production mondiale" si ce type de plainte venait ? se g?n?raliser. Une crainte contest?e par les groupes de d?fense des travailleurs : "Les seules entreprises qui aient ? craindre sont celles qui ont particip? en connaissance de cause ? l’esclavage, ? un g?nocide, des crimes de guerre, des r?glements de comptes, des tortures ou des crimes contre l’humanit?, insiste Terry Collingworth, directeur du International Labor Rights Fund (Fonds international pour les droits des travailleurs), qui soutient plusieurs proc?s en cours. On peut esp?rer qu’elles sont tr?s peu nombreuses." Appuy?e par les pr?sidents Carter, Clinton et m?me par Bush le p?re, l’ATCA est aujourd’hui dans la ligne de mire du gouvernement de George W. Bush. Cette l?gislation, affirme-t-on, pourrait nuire ? la lutte contre le terrorisme en offusquant des Etats alli?s des Etats-Unis. Arguant de pertes financi?res consid?rables - les demandes de compensation vont de 6 ? 30 milliards de dollars -, les multinationales menacent en effet de quitter les pays dont ?manent les plaintes. Un officiel d’Afrique du Sud, dont les citoyens attaquent pas moins de trente multinationales, affirmait r?cemment ? l’agence de presse Swissinfo : "Les investisseurs nous ont indiqu? que si ce proc?s a lieu, il influencerait l’investissement ?tranger futur... et nous devons tenir compte de ce commentaire." Avec un taux de ch?mage de 23 % et un des taux d’investissement ?tranger les plus faibles en Afrique, le pays a de bonnes raisons de pr?ter oreille.

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