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PAKISTAN

Ce Cachemire o? les balles fr?lent la lune

Thursday 14 March 2002, by CREMONESI*Lorenzo

Les soldats charg?s de tenir les positions pakistanaises sur les pentes himalayennes ont plus ? souffrir des conditions rigoureuses que des combats.

DU GLACIER DE SIACHEN

"Lune b?nie, lune maudite", scandent ? la tomb?e de la nuit les soldats qui marchent sur une neige ?clair?e comme en plein jour. Toute cette lumi?re refl?t?e entre le glacier et le ciel aide ? suivre le chemin, surtout lorsque les ordres interdisent l’usage de toute torche ou lampe frontale, et m?me d’allumer une cigarette sur les positions qui, au-del? de 5 000 m?tres d’altitude, sont ? port?e des tireurs de l’arm?e indienne. Avant l’aube, au camp Ibrahim, le thermom?tre indiquait entre 45 et 47 ?C au-dessous de z?ro. Mais nous ?tions prot?g?s par la chaleur des r?chauds au k?ros?ne ? l’int?rieur des bunkers en fibre de verre ? demi-enfouis sous la neige, ? la cote 6 200 m?tres. Aujourd’hui, le vent s’est calm?. La trace - marqu?e par des jerricans vides, des b?tons et des douilles usag?es d’obus de mortier de 120 millim?tres - se perd dans le d?dale de crevasses de ce monde gel?, sur les sommets les plus hauts de la plan?te.

La visite avec l’arm?e pakistanaise, en ces semaines o? r?sonne ? nouveau le tambour de la guerre entre Islamabad et New Delhi, du "seul champ de bataille au-dessus des nuages" t?moigne surtout d’une lutte constante avec la nature. "L’?t?, la situation est encore supportable, mais, l’hiver, nous sommes en ?tat d’hibernation. L’ordre de se d?placer seulement de nuit rend les choses encore plus difficiles. Nous avons beaucoup plus de morts et de bless?s dus ? des causes naturelles qu’? des ?changes de coups de feu avec l’ennemi" , explique le capitaine Taher, 29 ans, qui, depuis trois mois, commande une cinquantaine d’hommes au camp n? 1, situ? quelque part sur le sentier entre la derni?re base accessible en presque deux jours de Jeep, depuis la vall?e de l’Indus, et les neiges ?ternelles des montagnes que l’Inde et le Pakistan se disputent depuis 1947. Mais ce conflit oubli? ne conna?t pas de tr?ve. C’est une guerre de tranch?es avec des affrontements quotidiens : surtout des ?changes de tirs de mortier et de mitrailleuses lourdes entre les avant-postes, distants parfois de moins de 1 kilom?tre ; et de longues attentes, des marches forc?es, attaques et contre-attaques de petits groupes de 5 ou 6 hommes, pour l’occupation d’un petit avant-poste. La nuit, on reste ?veill?, l’oreille coll?e au t?l?phone de campagne. Puis l’on s’endort en plein jour. Et surtout le froid, la salet?, toute cette salet? et ce k?ros?ne qui donne la naus?e, avec les petits r?chauds allum?s en permanence dans les bunkers noircis par la fum?e ; on fait fondre la neige pour avoir de l’eau, on cuisine, et le jour arrive.

"Pour nous, il n’y a eu aucun changement depuis la crise entre les deux pays ? la suite de l’attentat commis au Parlement indien le 13 d?cembre dernier. On se tirait dessus avant comme maintenant", d?clare le major Lodhi Suehil, qui commande une dizaine d’observatoires avanc?s depuis une casemate creus?e sous un ?norme rocher, au col situ? ? 6 000 m?tres.

Nous sommes au coeur du haut Cachemire, une r?gion oubli?e et inaccessible jusqu’? ce qu’en 1984 le haut commandement indien lance l’op?ration "Messager du froid". Quelques milliers d’hommes de la r?gion [contr?l?e par l’Inde] de Kumaon et de "scouts du Ladakh", bien adapt?s au climat, p?n?tr?rent au-del? de la Ligne de contr?le trac?e depuis le cessez-le-feu de 1949. Objectif : atteindre la fronti?re avec le Xinjiang chinois, ouvrir ? l’Inde le versant m?ridional du K2 [le mont Godwin-Austen, qui culmine ? 8 611 m?tres], et surtout affaiblir la souverainet? de l’adversaire [pakistanais] sur le Cachemire. Pour les Pakistanais, la surprise fut totale. Il leur fallut douze jours pour envoyer les premiers commandos sp?ciaux sur le glacier du Duc des Abruzzes. Et ce fut le massacre.

Aujourd’hui, les soldats pakistanais suivent un sch?ma d’approche tr?s rigoureux qui, durant plus de quatre semaines, m?ne graduellement de Goma jusqu’aux avant-postes les plus lointains, ? 7 000 m?tres d’altitude. Ils sont ?quip?s de vestes rembourr?es, de gants fourr?s, de chaussures de montagne ? plusieurs ?paisseurs et surtout de sacs de couchage ? haut pouvoir thermique. Mais trop de s?curit? est trompeuse. Il y a trois ans, l’arm?e d’Islamabad se sentit si forte qu’elle tenta d’occuper en plein hiver le point strat?gique de Kargil 2 704 m?tres d’altitude, la ville est le second centre urbain du Ladakh. Cela ne lui porta pas chance. Apr?s quelques milliers de victimes sur les deux fronts, au cours du printemps, ils furent contraints de se replier sur les tranch?es de d?part.

Par un apr?s-midi de soleil particuli?rement chaud, on grimpe ? l’aide de cordes fix?es dans la paroi jusqu’? l’Observatoire 33, un des nombreux noms de code parmi ces cimes sans nom. Ce pic rocheux et ?lanc?, surmont? d’une couronne de glacier, a ?t? baptis? "L’Aigle" par les soldats. Mais leurs cartes ne mentionnent que l’altitude. Nous parcourons les 300 m?tres de d?nivellation jusqu’? 6 600 m?tres d’altitude, avec l’aide de crampons que les soldats coupent en deux et placent en travers sous la semelle de leurs souliers. "Notre pays est pauvre. Par ce moyen, une paire de crampons sert pour quatre chaussures" , explique le sergent Bardachan, qui depuis deux mois commande les trois autres compagnies de l’Observatoire 33.

Ils ne peuvent pratiquement faire aucun mouvement sur cette terrasse suspendue entre glacier et granit. Ils font des tours de garde d’une heure au maximum et rentrent aussit?t dans leur bunker. "Notre probl?me, c’est que nous n’avons aucune possibilit? de marcher ou de faire de l’exercice. Au bout de deux mois de cette vie, nous sommes totalement affaiblis" , se plaint le sergent Bardachan. Quand le vent souffle, ils se r?fugient dans leur antre qui empeste. Ils jouent aux cartes, ils rient. Si les batteries ne sont pas d?charg?es ? cause du gel, ils parviennent aussi ? entendre ? la radio quelques chansons en pachtou (beaucoup de soldats viennent des r?gions frontali?res avec l’Afghanistan). Avant la marche de retour vers le camp de base, on r?cite la pri?re rituelle pour qu’Allah fasse ?viter les crevasses, les avalanches, les dangers. La derni?re fois, c’est arriv? il y a dix jours, ? quelques m?tres de l’endroit o? nous avons laiss? la Jeep. "Ici, neuf soldats sont morts, victimes d’une avalanche" , dit un caporal. La montre marque 2 heures du matin. Le silence est parfait. La lune ?claire ? nouveau les montagnes d’une blancheur m?tallique.

P.S.

CONTEXTE

Fin f?vrier, des tirs indiens sur des villages situ?s dans le "Cachemire libre" pakistanais (Azad Kashmir) ont fait cinq morts et plusieurs dizaines de bless?s. La tension, dans cette r?gion disput?e depuis plus d’un demi-si?cle par New Delhi et Islamabad, est de nouveau tr?s vive ? la suite d’un attentat tr?s meurtrier perp?tr? le 13 d?cembre dernier par les islamistes bas?s au Pakistan contre le Parlement f?d?ral indien. Par ailleurs, au d?but de la semaine, Islamabad s’est adress? au Haut-Commissariat de l’ONU pour les droits de l’homme afin de protester contre les violations des libert?s fondamentales des Cachemiris musulmans commises par les extr?mistes hindous dans le Jammu- et-Cachemire.

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