Debating India

RELIGION

Identit? et mobilit? religieuse

Michael Amaladoss, SJ

Monday 20 October 2003, by AMALADOSS*Michael SJ

La religion est un aspect de la vie et un ?l?ment de la structure sociale. L’identit? religieuse est support?e par les identit?s sociales et politiques et les supportent en retour. La mobilit? religieuse est li?e ? la mobilit? sociale. Tout en gardant ? l’esprit ces interconnexions, j’aimerai concentrer mon attention sur l’identit? et la mobilit? dans la sph?re de la religion. Dans l’histoire indienne, l’identit? religieuse a ?t? un facteur de mobilit? sociale ascendante, descendante, int?grante, distan?ante ou protestante. J’aurai l’occasion plus loin dans cet article de faire quelques remarques sur la mobilit? religieuse comme un aspect de la mobilit? sociale. Mais je voudrais commencer par explorer la mobilit? religieuse comme telle. Je vais commencer par l’?vocation d’exp?riences de mobilit? religieuse, puis les analyser et enfin r?fl?chir ? leur propos.

Des exp?riences de mobilit?

L’identit? suppose des racines. Une personne s’identifie avec un groupe ou une tradition. L’identit? signifie aussi que quelqu’un se diff?rencie d’un autre groupe, d’une autre tradition. Il y a des fronti?res entre les groupes et les traditions. La mobilit? signifie que ces fronti?res sont franchies. Le passage peut ?tre temporaire, fr?quent ou permanent. Est-ce que des personnes franchissent les fronti?res religieuses ? Regardons quelques faits d’exp?rience.

Les gens au niveau d’une religiosit? cosmique ou populaire semblent franchir les fronti?res ais?ment. Les sanctuaires chr?tiens d?di?s ? Marie ou aux saints comme saint Antoine, les tombes des saints musulmans, et les centres de p?lerinage hindous comme Sabarimala au Kerala ou Gangotri dans le nord, semblent attirer des personnes de toutes croyances. Les gens, sans distinction de religion, participent aux festivals socio-religieux populaires. Les shamans de quelque religion que ce soit sont fr?quent?s par tout un chacun. La pratique religieuse ? ce niveau semble bas?e sur les besoins. Les personnes recherchent la gu?rison de diverses sortes de maladie ou la satisfaction de diff?rents types de besoins individuels ou sociaux. La r?putation d’un lieu saint, d’un intercesseur ou d’un gu?risseur charismatique pour r?pondre ? ces besoins semble plus importante que son affiliation religieuse. Une personne qui est per?ue comme sainte est respect?e par tous, quelque soit la religion ? laquelle elle appartient.

Dans les grandes religions, les fronti?res entre les traditions cosmiques et m?tacosmiques sont tr?s poreuses. Tandis que les m?tacosmiques r?f?rent aux ?l?ments de transcendance, les cosmiques voient le divin dans la vie personnel, sociale et dans la vie du cosmos. Quand les religions m?tacosmiques se r?pandent parmi les personnes et les cultures, elles ne remplacent pas totalement les religions cosmiques locales mais les adaptent et les int?grent de plusieurs mani?res. Elles s’enracinent en fait dans un lieu particulier gr?ce ? la religion et aux symboles locaux. Ceux-ci peuvent ?tre r?interpr?t?s dans le processus, mais pas remplac?s. La r?interpr?tation n’?vacue pas totalement le sens originel et ses r?f?rences. Ceci est un processus d’acculturation. On pourrait m?me parler "d’accr?tion" (d’accroissement de sens). Les agents de la religion m?tacosmique ou bien protestent contre ces ?l?ments cosmiques, ou les tol?rent, ou cherchent ? les int?grer. Les personnes ordinaires int?grent toujours les diff?rentes traditions ? leur mani?re propre, sans tenir compte des agents officiels de la religion m?tacosmique. Les pratiques populaires peuvent m?me devenir souterraines si la position officielle est trop forte. Dans de telles situations, les anthropologistes parlent de syncr?tisme ou de religiosit? parall?le ou double. On peut dire que les fronti?res ici sont tr?s poreuses. Ceci peut ?tre per?u comme un probl?me par les agents officiels des religions m?tacosmiques, tandis que les personnes ordinaires n’ont aucun probl?me ? franchir, dans un sens puis dans l’autre, les fronti?res aussi souvent qu’il est n?cessaire.

Dans les zones de Bidonvilles de Surat au Gujarat, les adeptes n?o-bouddhistes de Ambedkar ont ?t? remarqu?s comme continuant bien des pratiques de la religion cosmique qu’ils ?taient suppos?s avoir abandonn?e. La mobilit? religieuse ici peut ?tre r?ellement une mobilit? sociale. Il y a une nouvelle identit? sociale. Mais au niveau religieux, il semble qu’il y ait un franchissement facile des fronti?res, particuli?rement au niveau des rituels correspondant ? des besoins ou au cycle de la vie.

Durant la conflagration communaliste, juste apr?s la partition de l’Inde en 1947, le Mahatma Gandhi prit l’habitude de promouvoir des services de pri?re interreligieux comme moyen de favoriser l’harmonie religieuse. Les ?critures et bhajans de diff?rentes religions ?taient utilis?s. On peut dire qu’ici nous nous trouvons en un lieu o? les fronti?res de diff?rentes religions se rencontrent. Aujourd’hui des gens se sentent libres de participer aux c?r?monies religieuses propres ? une autre religion. Beaucoup d’hindous ne semblent avoir aucun probl?me ? participer au culte chr?tien. C’est devenu un rite dans beaucoup d’?glises du sud de l’Inde, particuli?rement durant les f?tes, d’annoncer que la participation totale ? l’Eucharistie par le partage du pain et du vin consacr?s est r?serv?e aux chr?tiens. Un groupe de th?ologiens chr?tiens discutant ce probl?me du "culte partag?", il y a quelques ann?es, ne voyaient pas de difficult?s ? la participation de membres d’autres religions aux rituels chr?tiens, et de chr?tiens prenant part aux rituels d’autres religions, quoiqu’ils y mettaient certaines conditions. Evidemment, il n’y a pas de participation si vous n’acceptez pas le sens du rituel de l’autre religion. Le partage du culte, donc, signifie que quelqu’un est capable de franchir les fronti?res, non seulement au niveau rituel, mais aussi au niveau des symboles et du sens, m?me si ceci peut inclure l’affirmation d’un sens commun sous-jacent.

Durant un s?minaire international r?cent, auquel participaient seulement des chr?tiens d’appartenance religieuse multiple, nous entend?mes le t?moignage de personnes qui ont particip? s?rieusement pour plusieurs ann?es ? des traditions orientales du "sadahana" comme le yoga, la m?ditation bouddhiste ou tao?ste. Ceci repr?sente quelque chose de plus que d’int?grer certains exercices respiratoires ou des techniques de concentration dans la pri?re chr?tienne. Contrairement ? la sorte de tension, m?me d’agonie, ?prouv?e par des personnes d’une g?n?ration ant?rieure comme Swami Abishiktananda, ou m?me Bhramabandad Upadyayab ? une ?poque encore plus ancienne, ces personnes semblent vivre cette exp?rience sans trop de tensions, passant d’une tradition ? l’autre, sans rechercher une int?gration facile ou m?me sachant qu’elle n’existe pas.

Dans tous ces cas, je ne parle pas de personnes qui appartiennent ? deux groupes sociaux simultan?ment. Mais au niveau de la pratique religieuse, elles semblent franchir les fronti?res facilement. Ces personnes appartiennent socialement et institutionnellement ? une religion particuli?re. Pour elles, un passage de fronti?re est toujours suivi d’un retour. Mais nous connaissons tous des gens qui, individuellement et/ou socialement, traversent une fronti?re religieuse consciemment et d’une fa?on permanente. Les motivations et les raisons de cet acte peuvent ?tre complexes. Mais nous sommes conscients du ph?nom?ne. Avec ces exp?riences comme point de d?part, j’aimerais r?fl?chir sur ce qu’est l’identit? religieuse et sur les formes de mobilit? et d’identit?. Ceci m’am?nera ? un certain nombre de questions pour aller plus loin dans la r?flexion.

Religion et identit? religieuse

Quoique cela ne soit peut-?tre pas n?cessaire, il peut ?tre utile de commencer par une br?ve d?finition ou description de la religion. Par religion, j’entends une qu?te pour le sens ultime quand les humains ont ? faire face ? des situations limites comme une souffrance imm?rit?e, un mal injustifi? et quelque fois sans explication dans le monde et dans la vie humaine, et l’exp?rience ultime et limite de la mort. D’un certain point de vue, la recherche est continuelle. Les personnes ne sont jamais pleinement satisfaites des r?ponses. D’autre part, les r?ponses qui proviennent soit de l’exp?rience personnelle soit d’une r?v?lation revendiqu?e, sont structur?es dans une institution sociale qui est la religion. Le sens est exprim? par des mythes, est v?cu et communiqu? dans des rites et est prot?g? et transmis dans une communaut? structur?e. Une personne est n?e dans une famille ou un groupe social qui a une religion. Durant sa croissance, la personne int?riorise la culture et la religion de la famille ?largie. Le processus est ? moiti? conscient et collectif. L’enfant grandit en conscience comme membre d’une famille particuli?re, d’un groupe ethnique particulier ou d’une certaine caste, d’une tradition religieuse et culturelle particuli?re. Durant la croissance de la personne, la qu?te du sens continue et la personne peut lentement se distancier du groupe jusqu’au moment o? elle le quittera pour en rejoindre un autre. Ainsi il peut y avoir mobilit? dans et ? travers les fronti?res des communaut?s. Il peut y avoir diff?rents niveaux d’appartenance ? une tradition religieuse. La mobilit? religieuse est possible pr?cis?ment parce que la religion n’est pas un syst?me de sens comme la science qui est sujette ? v?rification et exp?rimentation. M?me en science de nouveaux paradigmes remplacent de plus anciens. Ceci est encore plus vrai dans la religion qui traite de domaines de sens et d’exp?rience qui transcendent le monde ph?nom?nal. Examinons ce ph?nom?ne de mobilit? d’un peu plus pr?s.

Diff?rentes formes de mobilit?

Je pense que nous pouvons parler de trois types de mobilit? en religion : la mobilit? personnelle/groupe comme une recherche permanente, des exp?riences religieuses multiples, et la recherche en groupe pour de nouvelles identit?s religieuses. Permettez-moi d’explorer chacun de ces types. Certaines personnes au niveau m?tacosmique se sentent provoqu?es par diverses circonstances et probl?mes de leur vie ? continuer leur recherche de sens. Elles ne sont pas satisfaites par les r?ponses donn?es couramment par la tradition. Elles peuvent suivre des gourous qui se r?clament d’une exp?rience/r?v?lation particuli?re et offrent un "enseignement" nouveau : une nouvelle vision, une nouvelle structure, une nouvelle fa?on de "sadhana", une nouvelle communaut?, etc. Elles peuvent elles-m?mes acqu?rir de nouvelles compr?hensions par leur lecture et leur m?ditation. Dans la plupart des cas ceci correspond ? une nouvelle compr?hension ou ? une r?interpr?tation de la religion dans le contexte contemporain. Les symboles et pratiques de base sont maintenus. Des ajouts dans la course de l’histoire peuvent ?tre rejet?s. C’est un processus de purification. Ces personnes peuvent m?me ressentir une certaine ali?nation par rapport ? la communaut? qui maintient les rites et les symboles traditionnels. Les personnes peuvent se trouver ? diff?rents niveaux de d?veloppement spirituel. Un groupe d’adeptes peuvent suivre la direction d’un gourou ou d’un pionnier. Mais la recherche en elle-m?me reste individuelle. C’est celle du gourou. Ce n’est pas d’abord un ph?nom?ne de groupe. La diff?rentiation et la distance croissante prise par rapport ? la communaut? et le resserrement de leur propre pr?occupation peuvent conduire ? la formation d’une secte : alors cela prend les caract?ristiques d’un groupe. L’objectif est encore religieux. Progressivement la secte peut se d?velopper en une nouvelle religion, ou au contraire peut ?tre accommod?e dans le corps principal, mais en tant que tradition s?par?e. Les premiers chr?tiens fr?quentaient le temple et s’exp?rimentaient comme une secte juive. Mais avec l’entr?e de non-juifs dans les communaut?s, et l’hostilit? des juifs, leurs liens avec la communaut? d’origine furent bris?s, particuli?rement apr?s la destruction de J?rusalem. C’?tait peut-?tre un signe pour les chr?tiens afin qu’ils ?mergent comme un groupe s?par?. Le Bouddha ?tait un asc?te hindou parmi d’autres. Mais sa pol?mique contre les rites brahmaniques a du faire de lui un h?r?tique. Cependant, si le bouddhisme ne s’?tait pas r?pandu en dehors de l’Inde, il aurait pu ?tre r?absorb? par l’hindouisme comme une tradition particuli?re. En fait c’est ce que les membres d’Hindutva essaient de faire juste maintenant. Beaucoup de traditions Bakti continuent comme des sectes autonomes au sein de l’hindouisme. Des conflits inter sectes au sein de l’hindouisme, du bouddhisme et du christianisme n’ont pas ?t? inconnus dans les premiers si?cles et encore aujourd’hui. Le deuxi?me type de mobilit? religieuse est l’exp?rience religieuse multiple. Peut-?tre qu’un exemple permettra de mieux saisir ce que j’ai ? l’esprit. Abishiktananda ?tait un dominicain catholique fran?ais (Henri Le Saux) qui vint en Inde, attir? par sa tradition de sannyasis et de contemplation. Impressionn? par Ramana Maharashi de Tiruvannamalai, il entreprend des formes adva?tiques de sadhana et a quelques succ?s en achevant certaines formes d’exp?riences adva?tiques. En m?me temps, il n’est pas pr?t ? abandonner les rites chr?tiens, particuli?rement le chant des psaumes et la c?l?bration de l’Eucharistie. Il est aussi profond?ment engag? dans la vie de la communaut? eccl?siale en Inde. Il n’a r?alis? aucune int?gration superficielle entre les deux exp?riences, chr?tienne et adva?tique, quoiqu’il ait essay?. Restant loyal envers les deux traditions, il est aussi tendu entre les deux. Il semble ?tre arriv? ? une certaine harmonie quelques mois avant sa mort, mais nous ne sommes pas s?rs de ce qu’elle ?tait. Abishiktananda franchissait constamment les fronti?res. Il avait, pour ainsi dire, deux identit?s. Quand le temps vint de l’initiation de son seul disciple, il planifie une double initiation par deux gourous, lui-m?me et Swami Chidananda, la t?te de l’ashram de Sivananda, ? Rishikesh. J’ai ?voqu? des exemples similaires quand je parlais plus t?t de mes exp?riences. Nous pouvons percevoir un ph?nom?ne similaire si nous regardons des gens comme Keshub Chander Sen et P.C. Majumdar, qui ?taient attach?s ? J?sus, mais ne ressentaient pas le besoin de quitter l’hindouisme. Ramakrishna est dit avoir pratiqu? les "sadhana" de diff?rentes religions. Je pense qu’une telle appartenance multiple est possible quand quelqu’un prend conscience qu’il atteint ? la R?alit? Ultime ? travers diff?rents symboles et techniques. Ceci ne veut pas dire que ces exp?riences de l’Ultime sont identiques, en fait elles sont diff?rentes. Mais les diff?rentes m?diations et les exp?riences qu’elles permettent sont per?ues comme se r?f?rant ? la m?me R?alit? Ultime. Ceci demande qu’on n’absolutise pas les exp?riences symboliques et les m?diations, m?me si ce n’est que par elles que quelqu’un atteint ? la R?alit? Ultime. On ne cherche pas ? r?aliser une int?gration trop rapide et trop artificielle, comme une approche rationnelle pourrait essayer de le faire. Encore moins va-t-on les confondre. Je ne suis pas int?ress? ici par l’exploration de la validit? spirituelle ou l’utilit? de telles exp?riences doubles ou multiples. Je souhaite seulement mettre l’accent sur le fait qu’il existe des personnes qui les vivent; elles sont des exemples de mobilit? religieuse.

La mobilit? religieuse peut aussi ?tre un processus de groupe. ? la diff?rence de la culture, la religion n’est pas simplement un produit humain/social. Il y a un adage qui dit : "La culture fait les hommes, et les hommes font la culture". Nous ne pouvons pas dire la m?me chose de la religion. Celle-ci, particuli?rement la religion m?tacosmique, pr?tend ?tre une r?ponse soit ? une profonde exp?rience religieuse de la transcendance, soit ? une manifestation divine de r?v?lation. Mais la r?ponse elle-m?me est structur?e par la communaut? utilisant ses ressources culturelles et autres. Nous pouvons donc dire que la religion comme institution asociale est le produit d’un groupe social. Le groupe peut r?interpr?ter ses symboles et rites religieux en fonction d’un contexte historique, social et culturel en ?volution. Le groupe se sent libre de d?finir et red?finir son identit? religieuse. ? l’?vidence une telle red?finition implique une certaine mobilit?. La mobilit? peut ?tre dans le cadre des param?tres de la m?me religion. Elle peut aussi impliquer un changement de religion. Les religions cosmiques font tellement partie de la culture et de la soci?t? qu’elles ?voluent avec la soci?t?. ? un moment donn? et au m?me moment, beaucoup de gens appartenant ? une tradition religieuse cosmique peuvent ?voluer vers, ou accepter et int?grer une tradition religieuse m?tacosmique. Un mouvement de groupe d’une religion m?tacosmique vers une autre religion ne semble pas possible. Des individus font ce passage. Mais les gens d’exp?rience sugg?rent que le mouvement personnel d’une religion m?tacosmique vers une autre n’est pas direct mais passe par une p?riode de non religiosit?, pour quelque raison que ce soit.

La mobilit? religieuse de groupe ne semble pas ?tre seulement religieuse. Elle a souvent des raisons sociales, politiques ou ?conomiques. En Am?rique latine, les peuples indig?nes devinrent chr?tiens. Je pense que, dans le contexte de l’entreprise coloniale qui recherchait une domination non seulement ?conomique et politique, mais aussi religieuse, c’?tait une strat?gie pour survivre. Le r?sultat, cependant, fut une religiosit? parall?le. En Afrique, certains groupes r?sistent ? un tel colonialisme religieux, mais int?grent certains ?l?ments de la religion ?trang?re comme un facteur de progr?s social. Ceci donne naissance ? des milliers d’?glises ind?pendantes. De l’ext?rieur, elles peuvent ?tre consid?r?es comme syncr?tistes. Mais pour les gens eux-m?mes, elle leur donne une nouvelle identit? cr?ative. Des ph?nom?nes similaires peuvent ?tre trouv?s dans des cultes vari?s afro-am?ricains en Am?rique latine. Quelque fois des groupes sociaux abandonnent leurs dieux et leurs rites pour adopter ceux d’autres groupes ayant un statut social plus ?lev?, esp?rant de cette mani?re am?liorer leur propre statut social. C’est un ph?nom?ne connu en Inde comme Sanskritisation. Certains groupes tribaux, de dalits, ou de caste inf?rieure ont pu embrasser l’islam ou le christianisme en Inde comme moyen de d?veloppement ?conomique et de promotion sociale. Beaucoup de groupes de classe moyenne ou sup?rieure du nord de l’Inde sont devenus musulmans pour des raisons politiques. Finalement certains groupes, ces derni?res ann?es, ont chang? de religion en signe de protestation sociale. Les n?o-bouddhistes d’Ambedkar appartiennent ? cette cat?gorie. Un groupe de dalits du sud de l’Inde est devenu musulman il y a quelques ann?es. Certains groupes chr?tiens sont repass?s ? l’hindouisme, ou ont rejoint une autre d?nomination chr?tienne. Une telle mobilit? de groupe n’est pas purement religieuse. Elle fait suite ? une d?cision planifi?e, consciente et d?lib?r?e du groupe comme tel, men? bien s?r par ses leaders.

Mod?les d’identit?

L’identit? religieuse peut ?tre exp?riment?e ? la fois comme une identit? individuelle, et comme une identit? de groupe. Comme il a ?t? sugg?r? pr?c?demment, une personne acqui?re son identit?" religieuse primaire comme membre d’un groupe. Dans un groupe tribal, ceci est tenu pour normal. Il n’y a pas de diff?rence entre religion, culture et soci?t?. Ce sont diff?rents aspects d’une m?me identit? de groupe. L’identit? individuelle d’une personne est l’identit? du groupe. Dans plusieurs aspects des soci?t?s modernes, il y a une diff?renciation croissante entre l’individu et le groupe. En parall?le, il y a aussi dans les groupes de religion m?tacosmique, une diff?renciation entre religion et culture. La m?me religion peut ?tre li?e ? plusieurs cultures, et des personnes de m?me culture peuvent pratiquer des religions diff?rentes. Il peut aussi y avoir diff?rents niveaux d’appartenance religieuse parmi les individus d’un m?me groupe. L’identit? religieuse s’enracine dans le groupe et est int?rioris?e ? un niveau inconscient dans les premi?res ann?es de l’enfance : durant la croissance de la personne, il y a une appropriation consciente de cette identit?. ? ce moment l?, diff?rents niveaux sont possibles. Tandis qu’un niveau minimum d’identit? est exp?riment? et montr? dans la participation ? certains rites de base, particuli?rement ceux qui concernent le cycle de la vie, il existe une certaine libert? pour atteindre des niveaux plus profonds de compr?hension et de pratique religieuse. La croissance dans ce domaine correspond ? une certaine initiative de la part des individus. Certaines personnes continuent ? chercher. Leur recherche peut les amener ? des exp?riences religieuses plus profondes. Quelque fois ces exp?riences peuvent ?tre comprises comme une vocation ou une manifestation divine sp?ciale. ? de tels moments, sa r?ponse ? l’invitation divine fait passer la personne au-del? de l’identit? commune du groupe. L’identit? personnelle est renforc?e par rapport ? celle du groupe. Un "sannyasi" en Inde revendique une libert? totale par rapport aux structures sociales au nom d’une identit? personnelle d?velopp?e. Un individu peut b?tir sa propre identit? religieuse m?me dans le contexte d’un groupe en r?ponse ?, et comme manifestation d’une exp?rience religieuse particuli?re. Une telle personne peut ?tre rejet?e comme h?r?tique quand le groupe refuse d’accepter la l?gitimit? de son exp?rience. Elle peut avoir ? quitter le groupe et ? fonder un autre groupe, si elle n’a pas ?t? d?truite au m?me moment par les structures rigides et dominantes du groupe. Nous voyons ici l’interaction entre l’identit? individuelle et celle du groupe, rendant possible la mobilit? individuelle, soit dans le contexte du groupe religieux, soit en rupture avec lui.

Au niveau du groupe, l’identit? religieuse peut ?tre ouverte/"faible" ou ferm?e/"forte". Un enfant int?riorise son identit? religieuse ? un ?ge pr?coce. Dans une soci?t? multi-religieuse, quand il rencontre les autres dans la rue ou ? l’?cole, il devient conscient de sa propre identit? comme diff?rente et particuli?re. Sudhir Kakar pense que cette prise de conscience de la diff?rence par rapport ? d’autres groupes, conduit presque automatiquement ? un sentiment de sup?riorit?. Mais quand il n’y a aucune rivalit? sociale, politique ou ?conomique entre les groupes religieux, l’identit? et la diff?renciation est ouverte ou "faible". Les personnes se m?langent facilement et travaillent ensemble aux m?mes t?ches. Ou bien, il peut y avoir une division traditionnelle des t?ches qui est v?cue pacifiquement. Par exemple, bien des communaut?s musulmanes du nord de l’Inde sont form?es d’artisans, tandis que les commer?ants sont hindous. M?me dans la sph?re religieuse, il y a une certaine amiti? manifest?e par des ?changes mutuels de cadeaux durant les f?tes religieuses. Des personnes appartenant ? des religions diff?rentes vivent ensemble dans la m?me colonie, les uns ? c?t? des autres. Nous avons connu et nous avons aujourd’hui des exemples de telles amiti?s religieuses dans beaucoup de parties de l’Inde. La diff?rence religieuse n’est pas une barri?re sociale. On est conscient d’?tre diff?rent de l’autre, mais cette diff?rence n’est pas vue comme une opposition.

L’identit? religieuse de groupe devient ferm?e ou "forte" quand la religion tourne au fondamentalisme et/ou au communalisme. Dans le langage courant fondamentalisme et communalisme sont utilis?s presque comme des synonymes. Mais ce ne sont pas des termes identiques. Quand un groupe religieux se sent contest? ? un niveau strictement religieux, par un autre groupe religieux ou par les courants de la science et de la modernit?, le groupe s’accroche, dans une r?action d?fensive, ? ce qu’il consid?re comme "fondamental" dans sa religion, en terme de doctrines et de rites. Dans un monde hostile et sans signification, leurs "fondamentaux" religieux leur offrent un cadre de sens simple et clair. C’est pourquoi ce courant religieux est appel? "fondamentalisme". En d?fense de son identit? religieuse, le groupe peut affirmer la v?rit? litt?rale de ses ?critures, l’efficacit? particuli?re et s?re de ses rites et le mandat divin de ses dirigeants. Les autres personnes sont consid?r?es comme ?tant dans les t?n?bres du p?ch? et de l’erreur. C’est pourquoi il faut ?viter toute relation avec eux afin de se prot?ger de leur influence n?gative. Mais il faut essayer de faire du pros?lytisme et de convaincre les autres pour les convertir ? son propre point de vue. Le fondamentalisme est normalement un mouvement sectaire au sein d’un groupe religieux. Il peut y avoir des fondamentalistes religieux m?me dans des soci?t?s qui ne sont pas multi-religieuses. Leur effort de pros?lytisme est souvent dirig? plus vers leurs coreligionnaires qui ne partagent pas leur conception de la foi, que vers les membres des autres religions. Ils sont normalement centr?s sur eux-m?mes. Dans les soci?t?s multi-religieuses, ils peuvent consid?rer les membres des autres religions comme "polluant" religieusement et donc ils ?vitent tout contact avec eux. Normalement ils ne sont pas violents si on les laisse ? eux-m?mes. Ils tendent ? vivre dans des ghettos religieux avec un mur ?pais invisible autour d’eux. Toute id?e de mobilit? religieuse sera anath?me pour eux, ? moins qu’elle n’am?ne de nouveaux convertis dans leur rang. Chaque religion a ses groupes de fondamentalistes.

Le communalisme utilise l’identit? religieuse pour des buts politiques. La religion est utilis?e comme facteur puissant d’int?gration d’un groupe en comp?tition avec d’autres groupes pour le pouvoir ?conomique et politique. Il a ?t? not? dans les r?centes ann?es que diff?rents groupes de personnes vivent ensemble assez pacifiquement sous un r?gime colonial ou autoritaire, souvent soutenu par un pouvoir militaire. Mais une fois que ce r?gime colonial ou autoritaire dispara?t et que les peuples sont laiss?s ? eux-m?mes dans un ordre d?mocratique ?mergent, alors diff?rents groupes commencent ? se battre les uns avec les autres pour des ressources rares ou pour la domination politique qui faciliterait la domination ?conomique. Nous voyons de tels conflits dans l’ex-Yougoslavie, en Indon?sie, en Inde, au Sri Lanka, et autre part - partout dans le monde en fait, de fa?on cach?e ou ouverte. Tout facteur de l’identit? d’un groupe peut ?tre utilis? d’une fa?on abusive de cette mani?re : nationalit?, race, ethnicit?, caste, religion. Les majorit?s cherchent ? s’imposer, tandis que les minorit?s tendent ? se d?fendre. La comp?tition provoque le conflit ; le conflit m?ne ? une spirale de violence croissante. L’autre est maintenant devenu un ennemi. Une histoire d’inimiti? laisse une trace de souvenirs non gu?ris. Des murs invisibles mais solides se dressent entre les diff?rents groupes. Ceci m?ne ? l’enfermement des groupes dans des ghettos, m?me g?ographiquement.

Dans de telles situations de conflit, la religion semble ?tre une source particuli?re de pouvoir. Atteindre ? l’Ultime apporte de fortes sources de motivation : on ne lutte pas seulement pour soi-m?me ; on lutte aussi pour ses dieux, pour ce qu’il y a de plus sacr? dans sa vie. Il est aussi facile de "d?moniser" l’autre dans un contexte religieux, comme une incarnation du Mal. Une fois que l’autre est devenu un ennemi ou le mal, il est facile de projeter sur lui toutes les caract?ristiques ind?sirables, m?me les siennes propres. L’autre personne n’est pas seulement un comp?titeur dans le champ ?conomique ou politique ; elle est aussi moralement d?prav?e et religieusement ignorante et malsaine. Elle est un infid?le, terme qui a des r?sonances d’infid?lit? et de d?loyaut?. Les gens qui sont tu?s sont idol?tr?s comme martyrs. L’espoir du martyre peut aggraver d’autant plus le conflit. Quand la religion est utilis?e de cette mani?re pour des raisons politiques, ce qui est important n’est pas la pratique religieuse. Les dirigeants politiques peuvent ne pas ?tre tr?s religieux et souvent ne le sont pas. Mais les symboles communs comme les dieux populaires, les f?tes et les lieux sacr?s sont utilis?s comme points de ralliement pour rassembler les foules. Ce communalisme a plus ? faire avec la politique qu’avec la religion.

Des questions pour poursuivre la r?flexion

Maintenant que nous avons essay? de clarifier et d’analyser les ph?nom?nes d’identit? religieuse et de mobilit?, il est temps de poser quelques questions pour y r?fl?chir. Le contexte de cette r?flexion est une communaut? multi-religieuse comme l’Inde, dans laquelle les gens sont appel?s ? vivre ensemble dans la libert?, le compagnonnage, l’?galit? et la justice, sans ?tre g?n?s par les facteurs de division possibles, en particulier la religion. La Constitution de l’Inde garantit aux citoyens la libert? de pratiquer et de propager la religion de leur choix. L’identit? et la mobilit? religieuse ne sont pas une pr?occupation de l’?tat ou de la soci?t? civile, sauf quand la religion devient communaliste. Alors, ce n’est plus un probl?me religieux mais politique. C’est au niveau politique et par des moyens politiques que le probl?me doit ?tre abord?et r?solu. Les questions que je soul?ve ci apr?s supposent le contexte indien, quoiqu’elles le d?passent aussi parce que les situations sont similaires partout.

Une soci?t? s?culi?re

L’Inde forme une soci?t? multi-religieuse. Quel r?le social devrait-on permettre aux religions d’y jouer ? Nous percevons deux approches et deux r?ponses ? cette question. Certains pensent que nous avons besoin d’un ?tat et d’une soci?t? civile compl?tement s?culiers. La religion devrait ?tre une affaire priv?e d’individus et de groupes. D’autres pensent que la religion devrait avoir un r?le social. L’?tat doit ?tre s?culier, mais dans la soci?t? civile les identit?s des diff?rentes religions doivent ?tre respect?es et doivent avoir la possibilit? de jouer un r?le constructif. Les religions doivent alors collaborer pour la d?fense et la promotion des valeurs spirituelles et humaines communes ? tous. Le d?bat entre ces deux groupes ?tait pr?sent lors de l’Assembl?e Constituante et il continue aujourd’hui. Tandis qu’il doit y avoir une distinction entre l’?tat, la soci?t? civile et la religion, et que l’identit? et le r?le de chacun doivent ?tre respect?s, ces r?alit?s ne peuvent pas ?tre mises dans des compartiments s?par?s. Aucun vrai croyant ne pensera que les perspectives religieuses devraient seulement s’attacher ? la conduite priv?e des individus et ne devraient rien avoir ? dire ? propos de la vie publique, ses buts et ses moyens, ses valeurs et ses perspectives. Mais dans une soci?t? multi-religieuse, aucune religion ne doit pouvoir dominer la vie publique. Le but doit ?tre d’atteindre ? un consensus entre les diff?rentes religions qui puisse guider les politiques civiles. En Inde les religions minoritaires ont re?u un statut et une protection sp?ciale. Mais les int?r?ts des minorit?s ne doivent pas devenir des droits acquis. Un point qui illustre bien la question est celui du code civil commun. Celui-ci a ?t? d?sir? par les P?res de la Constitution. Bien s?r les minorit?s ont peur que, dans un parlement domin? par la majorit?, le code civil commun devienne le code de la majorit? impos? aux minorit?s. D’un autre c?t?, il est vrai que certains droits fondamentaux, particuli?rement ceux des femmes, ne sont pas d?fendus de la m?me fa?on par les diff?rents codes personnels. Le fameux cas du Shabanu est un exemple bien connu. Je pense que nous devons respecter la constitution et ?voluer vers un code civil commun qui, cependant, doit ?merger d’un consensus de la communaut? civile multi-religieuse. Le consensus peut seulement se produire quand les diff?rentes communaut?s religieuses vivent ensemble dans une compr?hension et un respect mutuel, en paix et en collaboration.

Je pense que cela n’est possible que si les croyants des diff?rentes religions poursuivent activement une politique de dialogue plut?t que de confrontation. Le dialogue devrait ?tre orient? non pas vers l’abolition des diff?rences religieuses, mais vers la reconnaissance et l’acceptation des diff?rences et la recherche commune pour un vivre ensemble dans la soci?t? civile avec des buts et des valeurs partag?s, quoique chacun en trouve les raisons et les motivations dans sa propre tradition religieuse. Peut-?tre que, entre le s?cularisme et un esprit de tol?rance, nous devrions rechercher un dialogue actif et une collaboration effective. Une telle collaboration doit se centrer sur la d?fense et la promotion des droits de l’homme communs ? tous, ? savoir le droit ? la libert?, l’?galit?, la fraternit? et la justice, comme il est d?clar? dans le pr?ambule de notre constitution et dans ses divers principes directeurs. La lutte entre musulmans et hindous a continu? depuis l’ind?pendance en 1947, quoiqu’elle ait commenc? m?me plus t?t.. Les chr?tiens sont aussi devenus maintenant la cible d’attaques par des ?l?ments communalistes. Les forces de Hindutva demandant la domination de l’Etat et de la soci?t? civile par la culture "hindoue", semblent lentement gagner du terrain parmi les ?lites et les classes moyennes. C’est pourquoi l’atmosph?re n’est pas tr?s propice au dialogue. Mais c’est notre seul espoir de sortir de la spirale des conflits interreligieux qui ont pris notre peuple en otage.

Religion et Culture

Le deuxi?me point que je voudrais sugg?rer pour la r?flexion est l’articulation entre la religion et la culture. Peut-on ?tre chr?tien et indien ? Qu’est-ce que cela signifie d’?tre indien ? Qu’est-ce qu’une culture indienne ? Nous ne semblons pas avoir de r?ponses faciles ? ces questions aujourd’hui. Que quelqu’un puisse ?tre chr?tien et indien est l’id?ologie officielle de l’?glise, quelques soient les difficult?s en pratique. Il n’y a pas de diff?rence entre religion et culture au niveau de la religion cosmique, mais chaque religion m?tacosmique se r?pand ? travers les cultures en s’acculturant, et m?me en s’inculturant, dans les diverses cultures rencontr?es. L’islam en Arabie, au Maghreb, en Asie du sud et en Indon?sie, n’est pas le m?me. Aujourd’hui, il y a peut-?tre un effort pour imposer une certaine uniformit?, dans la recherche d’une identit? d?fensive. Mais ce serait d?sastreux pour ces pays si la multiplicit? ?tait perdue. Pour un musulman indien, s’arabiser serait dire qu’il ou elle ne se consid?re plus comme indien. La diff?renciation entre religion et culture doit ?tre clarifi?e et promue. D’un autre c?t?, aucune culture n’est un monolithe. L’Inde n’a pas qu’une seule culture. C’est un sous-continent avec beaucoup de cultures. Mais il y a s?rement une unit? culturelle en surplomb, en d?pit de beaucoup de diff?rences en ce domaine. ? cette culture commune, des groupes divers ont contribu? au cours des ?ges. Nous trouvons en elle des ?l?ments dravidiens et aryens, tribaux et dalits, de l’?lite et du peuple, cosmiques et m?tacosmiques, hindous, bouddhistes, ja?ns, chr?tiens, musulmans, sikhs et finalement des ?l?ments occidentaux (anglais et am?ricains). La culture indienne est composite, pluraliste en identit?. Les brigades Hindutva voudraient nous faire croire que la culture indienne est basiquement une culture hindoue. De plus, dans celle-ci, ils mettront l’accent sur les ?l?ments brahmaniques, ignorant les autres. Rien n’est plus ?loign? de la v?rit? et de l’histoire. Les indiens, m?me aujourd’hui, vivent dans des mondes culturels diff?rents, quoiqu’il y ait des liens sous-jacents entre eux qui les rendent diff?rents du monde culturel de l’Europe ou de la Chine. Le d?fi aujourd’hui pour chaque indien, quelque soit sa religion, est d’affirmer son identit? comme indien et d’assumer l’histoire culturelle complexe de l’Inde comme ?tant la sienne. Je pense qu’il est urgent de montrer la vraie mesure des revendications de Hindutva pour un patrimoine de la culture indienne dans sa version couleur safran. Ceci signifie que nous fassions la distinction entre notre identit? culturelle et notre identit? religieuse. La mobilit? religieuse n’a pas besoin d’inclure une mobilit? culturelle, quoiqu’elle puisse donner naissance ? une nouvelle sous-culture. Ceci ne signifie pas que la culture elle-m?me n’a pas chang? dans le cours de l’histoire et que les religions n’aient pas ?t? cause d’une partie de ces changements. Mais c’est un changement dans la continuit? de l’identit? culturelle.

La mobilit? religieuse peut-elle ?tre aussi une mobilit? sociale ? Pourquoi pas ?

Nous avons vu que, tandis que la mobilit? religieuse individuelle peut ?tre parfois purement religieuse, la mobilit? religieuse d’un groupe est aussi mobilit? sociale en termes de d?veloppement ?conomique, de lib?ration politique et de statut social. Ma question est : qu’est-ce que cela a de mauvais ? La discussion contemporaine sur la mobilit? religieuse semble accepter la mobilit? individuelle mais est tr?s critique par rapport ? la mobilit? de groupe parce qu’elle n’est pas purement religieuse, puisqu’elle implique des motivations sociales additionnelles. La religion est pour la vie. Dans la pratique de la religion, au niveau populaire, les gens ne recherchent pas les b?n?fices d’un autre monde. Leurs pr?occupations sont souvent tr?s terre ? terre : gu?rison d’une maladie physique ou psychique, un travail, le succ?s lors d’une interview ou ? un examen, la b?n?diction sur une nouvelle entreprise, une bonne moisson, des pluies au bon moment, etc., etc. Comme je l’ai sugg?r? dans la premi?re partie, les gens n’h?sitent pas ? franchir les fronti?res religieuses dans leur qu?te pour satisfaire leurs besoins, s’ils peuvent identifier une personne "sacr?e" et puissante dans un lieu. La faveur divine est vue non purement en termes spirituels, mais aussi mat?riels. C’est pourquoi nous n’avons pas ? ?tre surpris si un groupe social particulier passe d’une religion ? une autre, non purement pour des raisons "spirituelles", ou autres raisons universelles, mais aussi pour des raisons ?conomiques, politiques et sociales. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que ce ne serait pas une conversion religieuse si les motifs du changement ?taient purement ?conomiques, politiques ou sociaux. Derri?re l’am?lioration ?conomique , politique et de leur statut, les personnes doivent percevoir, au moins vaguement, la main de Dieu. Quand cette perception est pr?sente, il n’y a rien de mal dans le fait que la mobilit? religieuse soit aussi une mobilit? sociale. Personne ne devrait condamner Ambedkar parce qu’il a choisi de devenir bouddhiste en recherche de libert? et de dignit?, sortant d’une structure de castes, sociale et oppressive. Si quelqu’un doit ?tre condamn?, ce sont ceux qui, au nom de la religion, continuent ? perp?tuer de telles structures injustes et oppressives. Une telle mobilit? religieuse n’a pas besoin d’?tre apolog?tique. Comme je l’ai sugg?r? auparavant, au niveau culturel et religieux, les personnes construisent activement leur identit?. C’est un signe de libert? et de capacit? d’action. Les religions m?tacosmiques ne se sont pas r?pandues ? travers la plan?te seulement par la force. Tandis que l’usage de la force politique ne peut pas ?tre ni? en certains cas, dans la plupart des cas un ?l?ment de choix ?tait pr?sent, m?me si ce choix a pu ?tre motiv? par d’autres raisons que les raisons religieuses

Mobilit? et Communaut?

La mobilit? religieuse est un droit de l’?tre humain. De m?me que chaque personne a le droit de pratiquer la religion de son choix, chaque personne aussi a le droit de choisir la religion de son choix. Mais les droits vont toujours avec des responsabilit?s. La responsabilit? dans ce cas serait que le groupe qui a chang? de religion ne fasse pas de sa nouvelle identit? quelque chose de rigide et d’exclusif, mais qu’il reste ouvert ? la communaut? au sens large. Une telle ouverture peut ne pas ?tre pr?sente quand la mobilit? m?ne le groupe vers un fondamentalisme religieux. M?me cela, les gens ont droit de le faire, si ils le souhaitent. Mais ils ne devraient pas ?tre surpris si la soci?t? plus large r?agit quand elle ressent que l’unit? et l’int?gration sont atteintes en quelque fa?on. Une telle occasion appelle le dialogue et la n?gociation de fa?on qu’une nouvelle int?gration socio-politique soit faite, qui reconnaisse et accepte la nouvelle identit? religieuse du groupe. Des conflits dans ce processus peuvent ?tre in?vitables. Mais le but est toujours l’harmonie sociale.

Pluralisme et Relativisme

Les religions tendent ? ?tre exclusives. M?me l’hindouisme, qui souvent pr?tend ?tre tol?rant, int?gre d’autres groupes religieux soit par un processus d’acculturation et d’addition, soit en les admettant dans un ordre hi?rarchique dans lequel une version particuli?re de l’hindouisme pr?domine. Durant les cinquante derni?res ann?es et plus, l’hindouisme a essay? de domestiquer et d’inclure de cette mani?re d’autres religions indiennes comme le bouddhisme, le jana?sme, et les sikhs, n’h?sitant pas ? utiliser la machinerie constitutionnelle pour le faire. Certainement, l’islam et le christianisme r?sisteront ? une telle assimilation. Ceci peut ?tre la raison pour laquelle les forces d’Hindutva les consid?rent comme des religions ?trang?res, quoiqu’elles existent en Inde depuis des si?cles. Mais la reconnaissance, le respect et l’acceptation des autres traditions religieuses n’impliquent-ils pas la relativisation de leurs propres pr?tentions ? la v?rit? exclusive, ou ? la l?gitimit? dans le domaine religieux ? Le christianisme a lutt? avec cela pour un certain temps aujourd’hui, avec des affirmations simultan?es de sa propre exclusivit? comme m?diation de salut, et du besoin de dialoguer avec les autres religions. Il lui faut encore trouver une perspective balanc?e. L’islam, jusqu’ici, n’a pas vraiment fait face ? ce probl?me, quoique certains musulmans indiens aient soulev? la question dans le contexte de l’Inde. L’hindouisme, en principe, est ouvert ? cette possibilit?, quelque soit sa pratique historique. Certaines personnes diront m?me que le syst?me des castes plut?t que des facteurs religieux est l’?l?ment r?el d’int?gration dans l’hindouisme.

Si ? notre ?poque, nous r?alisons que la dignit? des personnes humaines leur donne la libert? et le droit de construire leur propre identit? religieuse en r?ponse ? leur propre exp?rience du divin, cette libert? ne devrait-elle pas ?tre accord?e ? l’int?rieur de chaque tradition ? Une telle libert? ne semble pas exister dans l’?glise aujourd’hui. Son approche par rapport aux sectes ainsi nomm?es ou par rapport aux dissidents dans ses propres rangs, montre que l’esprit de l’inquisition, sans toutefois la violence physique, est encore tr?s vivant. Dans l’islam, m?me la violence physique peut ne pas ?tre absente. N’est-ce pas une r?action d?fensive ? La loyaut? envers l’autorit? est impos?e pour des raisons politiques et disciplinaires plut?t que pour des raisons religieuses. Ceci am?ne ? suspecter que l’ouverture au dialogue est basiquement un geste politique plut?t que religieux, au moins pour certains. Ou bien que le dialogue est organis? avec des arri?res pens?es. Quand l’identit? religieuse devient communaliste, alors elle est d?fendue et impos?e avec violence, puisque les dissidents sont vus comme des tra?tres.

Ma question finale est aussi une vision. Nous semblons toujours penser ? l’identit?, non en termes positifs de ce que nous sommes, mais en termes n?gatifs de nos diff?rences avec les autres. Les deux aspects sont pr?sents. Mais dans une atmosph?re de dialogue et de collaboration pouvons nous penser de plus en plus en terme de centres clairs et fermes, mais avec des fronti?res ouvertes ? Notre identit? vient de ce que nous sommes int?rieurement, non pas de ce que nous ne sommes pas quand on nous compare aux autres de l’ext?rieur. Pouvons-nous b?tir de plus en plus sur les ?l?ments positifs de notre identit? et relativiser les ?l?ments n?gatifs ? Alors nous n’aurons plus besoin de murs, r?els ou symboliques, autour de nous, soit pour nous d?fendre, soit pour garder les autres au dehors. Nos fronti?res seraient poreuses. Je pense que ceci est ce que Ghandi avait en t?te quand il disait qu’il ?tait ouvert aux vents de directions diff?rentes, soufflant ? travers les fen?tres ouvertes de sa maison, mais qu’il refusait de perdre pied ? cause d’eux.

Conclusion

? la fin de ces r?flexions, je pense que la question de base est : Quelles sont nos priorit?s ? Donnons-nous de l’importance aux personnes comme sujets libres, ou aux structures ? Les gens sont n?s dans des structures, et ils grandissent en les int?riorisant, comme en apprenant la langue par exemple. Mais ceci ne l’est rend pas prisonniers des structures. Les personnes sont capables de les d?passer si n?cessaire. Cette capacit? d’?tre des acteurs libres dans leur propre construction d’eux-m?mes est le fait de tout ?tre humain quelque soit son statut ?conomique, politique, social, ou son niveau d’?ducation. Il peut y avoir des obstacles qui conditionnent ou limitent cette libert? et cette capacit? d’agir. Mais ces obstacles ne viennent pas des structures mais des autres qui les utilisent ou les manipulent ? leur propre avantage. Au Gujarat et au Ayodhya, hindous et musulmans qui ont v?cu ensemble dan le pass?, sont maintenant s?par?s en ghetto. Ce n’est pas qu’ils le veuillent. Leur choix leur est impos? par d’autres qui rendent dangereux pour eux de se comporter autrement. L’identit? et la mobilit? sont ce que les gens font d’eux-m?mes et de leur vie, individuellement et collectivement, dans la religion comme dans les autres domaines de l’existence. Une vraie d?mocratie devrait permettre aux personnes d’?tre elles-m?mes et d’?tre cr?atrices, et cependant de vivre ensemble dans de larges communaut?s, reconnaissant, respectant et acceptant les autres.

P.S.

R?f. : Vidyajyoti (Journal of theological Reflections), Vol. 64, n. 9, septembre 2000. Traduction en fran?ais : P?re Philippe Bedin, service documentation - Oeuvres Pontificales Missionnaires - Coop?ration Missionnaire, Paris. E-mail: bedin@opm-cm.org (SEDOS bulletin 2002, Vol. 34, 4, avril)]. Mai 2003.

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