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Relations Internationales

Entretien avec Joseph Nye, ancien secr?taire adjoint ? la d?fense dans l’administration Clinton

Propos recueillis par Corine Lesnes

Wednesday 24 September 2003, by LESNES*Corine

Article paru dans Le Monde, ?dition en ligne du 20 septembre 2003.

"Les efforts fran?ais sont vou?s ? l’?chec, mais le multilat?ralisme est possible".

Boston (Massachusetts) de notre envoy?e sp?ciale

Joseph Nye est depuis 1995 le doyen de la Kennedy School of Government de Harvard, pr?s de Boston. Il a ?t? secr?taire adjoint ? la d?fense dans l’administration Clinton. Il est l’auteur du best-seller The Paradox of American Power (Oxford University Press, 2002), dont le sous-titre est Pourquoi la seule superpuissance du monde ne peut pas avancer seule.

L’ann?e derni?re, le pr?sident Bush avait mis l’ONU au d?fi de faire respecter ses r?solutions en Irak. A quoi peut-on s’attendre dans son discours mardi aux Nations unies ?

J’esp?re qu’il va revenir ? la tonalit? de son discours de l’an dernier. Il y a eu une bagarre au sein du gouvernement am?ricain entre les r?publicains traditionnels, qui ont tendance ? privil?gier les alliances, et les n?oconservateurs, unilat?ralistes. Le premier courant l’a emport? en septembre 2002 ; le second en mars dernier. Maintenant, nous r?alisons que les premiers avaient raison. Mais ce serait une grave erreur si la France s’en tenait ? une position de "je vous l’avais bien dit". Cela tirerait tout simplement le tapis sous les pieds de Colin Powell et renforcerait le camp des ennemis de l’ONU.

Est-ce un vrai retour au multilat?ralisme ou seulement un revirement de circonstance ?

Je pense que l’administration Bush a vraiment chang? de position. Il reste certainement au gouvernement des gens qui n’ont aucune confiance dans les Nations unies, mais ils ne sont plus aussi clairement dominants qu’au printemps. Cela dit, si Colin Powell essuie une rebuffade, s’il ne discerne pas une volont? de trouver un compromis et que les Am?ricains ne re?oivent pas le soutien international qu’ils demandent, alors les unilat?ralistes vont trouver mati?re ? renforcer leurs arguments : il ne fallait pas retourner aux Nations unies, il n’y a rien ? en tirer ; la France et l’Allemagne ne nous aideront jamais... Dans l’imm?diat, donc, le jeu reste ouvert.

Que penser de ces constantes bagarres au sein du gouvernement am?ricain ? C’est un ph?nom?ne assez ?trange mais pas sans pr?c?dent dans l’histoire politique am?ricaine. Cela refl?te en quelque sorte ce qui s’appelle en France la cohabitation. Les administrations du premier pr?sident Bush et de Bill Clinton ont ?t? tr?s disciplin?es. Mais, avant cela, il est arriv? que les divergences soient ?tal?es publiquement : dans l’administration Carter, entre Cyrus Vance et Zbigniew Brzezinski. Sous Reagan, entre Caspar Weinberger et George Shultz. Et m?me dans l’administration Roosevelt. Roosevelt jouait ses ministres les uns contre les autres.

C’est la tactique de George Bush ?

On peut se poser la question. Les laisse-t-il faire d?lib?r?ment ou est-il incapable de les contr?ler ? L’automne dernier, pendant que le secr?taire d’Etat essayait d’attirer les Europ?ens vers la position am?ricaine, le secr?taire ? la d?fense s’employait ? les insulter ! Condoleezza Rice, la conseill?re ? la s?curit? nationale, pr?f?re apparemment se tenir pr?s du pr?sident plut?t que de chercher ? discipliner les puissants barons que sont Powell, Rumsfeld et Cheney. Mais ce cafouillage porte atteinte ? ce que j’appelle le "soft power", la facult? pour un pays d’obtenir ce qu’il veut par la simple attraction qu’il exerce. Nous sommes en train de payer le prix de ce manque de discipline.

Est-ce que nous sommes entr?s dans une nouvelle ?re des relations internationales ?

Je ne le crois pas. Il faut remettre les ?v?nements en perspective. Certains croient que cette crise a repr?sent? un tournant important. Pour eux, il ?tait urgent d’agir pour contrer les nouvelles menaces repr?sent?es par le terrorisme transnational. Et il n’?tait pas question d’?tre frein?s par les institutions h?rit?es de 1945. En mars 2003, ils ont cru ?tre "pr?sents ? la destruction", comme l’a ?crit un ?ditorialiste dans le Financial Times en paraphrasant Dean Acheson -le secr?taire d’Etat de Truman, qui a aid? ? la naissance de l’ONU-. En septembre 2003, force est de constater que c’?tait une vision trop dramatique. Il va y avoir beaucoup plus de continuit?. La mani?re dont les Etats-Unis sont ramen?s vers l’OTAN ou les Nations unies montre que nous ne sommes pas ? la fin des institutions n?es de la deuxi?me guerre mondiale.

Quel est l’avenir du monde multipolaire ?

A court terme, aucun. Les efforts fran?ais sont vou?s ? l’?chec. Mais le multilat?ralisme est possible. Si la France essaie de parvenir ? son but id?al, la multipolarit?, qui suppose de cr?er des puissances ?gales, elle n’a aucune chance de succ?s et elle risque m?me d’?chouer dans un objectif plus accessible, qui est de renforcer les parties de l’administration am?ricaine qui continuent d’accepter le multilat?ralisme.

Il est clair que le monde va compter une seule superpuissance pour au moins une autre d?cennie, sinon plus. La meilleure perspective possible est de tenter de l’amener dans un cadre multilat?ral en jouant sur le fait que l’opinion am?ricaine continue de soutenir les Nations unies. Comment renforcer cette tendance ? La politique ?trang?re fran?aise est plut?t vue en opposition syst?matique ? l’Am?rique, ce qui diminue l’influence des multilat?ralistes. M?me si ce n’est pas la r?alit?, c’est la perception aux Etats-Unis. Une bonne diplomatie doit maintenant s’attacher ? tenter de rapprocher les opinions dans les deux pays. Elles se sont oppos?es sur l’Irak bien au-del? de ce qui les divise r?ellement.

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