Contexte
Hu Jintao Le nouveau secr?taire g?n?ral du PCC est associ? au clan des r?formistes. Il a commenc? son mandat en appelant au respect de la Constitution et ? plus de sollicitude pour la population. Wen Jiabao Aux c?t?s des r?formateurs Hu Yaobang puis Zhao Ziyang, il a particip? ? la mise en place des r?formes des ann?es 80. Il est Premier ministre depuis mars 2003. Jiang Zemin Depuis 2003, il n’est plus que pr?sident de la Commission militaire centrale du PCC mais, ? ce titre, continue de jouer un r?le cl? dans les d?cisions politiques du pays. En 2002, il avait fait ent?riner par le Parti des r?formes permettant de reconna?tre le r?le grandissant des classes moyenne et sup?rieure dans la soci?t? chinoise.
R?forme de l’Etat
En mars 2003, un vaste remaniement minist?riel a eu lieu, qui a vu l’?limination de certains minist?res et la cr?ation d’autres. Ces r?formes ont pour but d?clar? de clarifier les relations entre les entreprises d’Etat et le gouvernement, et d’aller vers plus d’efficacit? et de transparence. Une vaste cure d’amaigrissement est en principe ?galement appliqu?e ? l’?chelon provincial, avec de nombreuses suppressions de postes. Par ailleurs, la Constitution de 1982 devrait ?tre prochainement amend?e pour qu’y soient incluses les "trois repr?sentativit?s" de Jiang Zemin en pr?ambule.
Le XVIe Congr?s du Parti communiste chinois (PCC) qui s’est termin? ? la mi-novembre 2002 annon?ait-il l’?mergence d’un nouveau mouvement de lib?ralisation id?ologique ? Depuis le lancement des r?formes, il y a vingt-quatre ans, le Parti semble ?tre arriv? ? un nouveau moment cl? de son histoire. Comme le souligne un ?conomiste ?m?rite, "le XVIe Congr?s [qui a ent?rin? l’entr?e des capitalistes au sein du Parti] marque la lev?e quasi compl?te des principaux obstacles ? la r?forme du syst?me ?conomique". De son c?t?, le journaliste Ma Licheng*, qui a bien connu les pol?miques entre la gauche et la droite pour avoir travaill? de nombreuses ann?es au sein du r?gime actuel, estime que les points de vue id?ologiques sur l’?conomie sont aujourd’hui d?pass?s ; d?sormais, c’est la r?forme politique qui est devenue le sujet le plus d?battu.
Ainsi, les voix ? haute valeur symbolique de la vieille g?n?ration des r?formistes au sein du Parti se font d?sormais clairement entendre dans les m?dias. Les uns apr?s les autres, ils se sont exprim?s cet hiver en faveur de la d?mocratisation du Parti, de la lib?ralisation de la presse ou encore de la s?paration des pouvoirs. Le jeune intellectuel Liu Junning** estime que "le temps des r?formes progressives est quasiment termin?". Apr?s le XVIe Congr?s, il n’a pas h?sit? ? ?crire de fa?on p?remptoire : "D?sormais, il faut passer de la r?forme au changement de syst?me." Au m?me titre que la forte croissance ?conomique de ces vingt derni?res ann?es, les transformations sociales, dont tout un chacun peut se rendre compte, nous am?nent ? consid?rer la r?forme politique en Chine sous un angle nouveau. "Le processus des r?formes est celui du retrait constant de l’Etat", explique Sheng Hong, directeur de l’institut ?conomique Unirule [ think-tank lib?ral]. La prochaine ?tape cruciale de la r?forme ?conomique doit donc ?tre de limiter davantage les ing?rences du gouvernement dans la conduite de l’?conomie.
Ce genre d’affirmation laisse quelque peu perplexe Zhang Jianjing. En tant que r?dacteur en chef adjoint du journal ?conomique p?kinois Zhongguo Jingji Shibao , il fait partie de ceux qui ont r?clam? avec ardeur des r?formes ?conomiques. En 1997, alors que la controverse sur les r?formes des entreprises publiques battait son plein, son journal avait publi? un article soutenant toutes les fa?ons de liquider les entreprises publiques. Cinq ans apr?s, Zhang Jianjing reconna?t que ses premi?res id?es ?taient un peu simplistes. Beaucoup de villes, auxquelles il avait consacr? des reportages enthousiastes car elles se lan?aient dans d’audacieuses privatisations, sont devenues des "villes sinistr?es". Par ailleurs, il a remarqu? que le poids de l’Etat augmente en fait avec l’accroissement de la puissance du march?. "Dans les ann?es 80, les fonctionnaires gouvernementaux ne disposaient pas - ? de rares exceptions - de la possibilit? d’affecter ? leur gr? les ressources financi?res, alors qu’aujourd’hui leurs pouvoirs ont cr? de fa?on ph?nom?nale." Le journaliste Ma Licheng s’inqui?te lui aussi de cette tendance : certains fonctionnaires, dit-il, forment des groupes d’int?r?ts susceptibles de constituer un obstacle pour les r?formes.
Aussi, parmi les partisans de la r?forme ?conomique de la premi?re heure, comme Wu Jinglian, on reconna?t aujourd’hui que l’?conomie de march? ne r?gle pas tout. Il confiait au d?but de cette ann?e au magazine ?conomique Caijing : "Faire le choix de l’?conomie de march? ne veut pas dire que le reste se r?glera comme par miracle. Une ?conomie de march? saine doit trouver un ancrage dans la l?gislation ; ce doit ?tre une ?conomie de march? r?gie par les lois." Aujourd’hui, notre approche de la r?forme politique est-elle aussi simpliste que l’?taient les attentes de Wu Jinglian vis-?-vis de l’?conomie de march? au d?but des ann?es 80 ? Si l’id?e du gouvernement de type d?mocratique a gagn? les coeurs, nous devons nous demander si nous parviendrons ? cr?er imm?diatement le pays id?al tel que nous l’imaginons. La d?mocratie, comme le march?, ne risque-t-elle pas de se transformer en une sorte d’id?ologie dangereuse ?
"Nous avons d?sormais une foi aveugle en la d?mocratie. Une nouvelle utopie remplace l’ancienne", remarque Pan Wei, qui se d?crit comme un "intellectuel n’aimant ni la droite ni la gauche". Ce ma?tre de conf?rences ? l’Institut des relations internationales de l’universit? de P?kin est convaincu que la r?forme du syst?me politique constituera la t?che la plus importante des r?formes chinoises des dix prochaines ann?es. Pour lui, la bonne orientation est celle qui consiste ? d’abord instaurer un gouvernement par les lois, ? introduire une s?paration et un ?quilibre des pouvoirs, sans se pr?cipiter pour enclencher un processus de d?mocratisation. Yuan Yue, directeur du groupe de consultants Horizon Survey, a suivi un cursus de gestion des affaires publiques ? l’universit? Harvard. Il est tr?s repr?sentatif de la nouvelle ?lite dans sa fa?on d’aborder la soci?t? chinoise. Selon lui, il faut s’appuyer sur la mont?e en puissance de la soci?t? civile, en finir avec les discussions de th?orie politique abstraites pour se consacrer davantage aux probl?mes concrets. "Pour les gens du commun, le gouvernement, c’est leur chef de canton, c’est comment le chef de village pr?l?ve de l’argent ? ses administr?s... Ce n’est pas le moment de se perdre en discussions sur la r?forme du syst?me politique. Il faut surtout veiller ? r?former la gestion de la communaut?. Je n’ai pas encore vu de changement radical du jour au lendemain, mais je constate au quotidien des changements qui sont pour moi autant de facteurs d’espoir."
Comme Yuan Ye, Liu Donghua, directeur du magazine Zhongguo Qiyejia ("Le chef d’entreprise chinois"), estime que des forces nouvelles peuvent ?merger dans la soci?t? chinoise. Les chefs d’entreprises priv?es ? Ils se sont vu conf?rer une nouvelle position sociale depuis que le PCC les a admis en son sein, en 2002. "Cela a ?t? une ann?e charni?re", estime Liu Donghua. Les chefs d’entreprise sont en train de m?rir sur le plan politique. "Jadis, pour obtenir la reconnaissance de la soci?t?, ils s’engageaient dans des activit?s caritatives. D?sormais, ils sont de plus en plus nombreux ? s’apercevoir que le fait d’?tre chef d’entreprise peut leur attirer un certain respect."
Faut-il pour autant esp?rer, comme de nombreux observateurs ?trangers, que les chefs d’entreprise parviennent ? modifier la situation politique en Chine ? Nous avons tendance ? d?celer le moindre changement ? partir de d?tails anecdotiques, telles que la hausse du nombre de chefs d’entreprise au Parlement. Or quelqu’un comme Ma Licheng, en fait, s’inqui?te de constater que les hommes d’affaires locaux sont toujours soumis ? l’influence des organismes bureaucratiques, avec lesquels ils s’allient souvent pour satisfaire des int?r?ts communs.
On observe le m?me ph?nom?ne dans la classe moyenne, qui est consid?r?e par la grande majorit? des analystes politiques comme la principale force du processus de d?mocratisation. "La classe moyenne constitue une voix importante", estime Liu Junning. Yuan Yue arrive ? une conclusion radicalement diff?rente : "Ces personnes-l? ne forment une classe que par leurs revenus, elles ne poss?dent pas de syst?me coh?rent de valeurs communes." Nul ne remet en question la croissance ph?nom?nale de l’espace public dans les ann?es 90, qui s’est accompagn?e d’une diversification des valeurs. Pour Yuan Yue, cette diversit? est superficielle. "Le v?ritable d?bat est la question du mode de communication entre les gens. Au fond, il faudrait trouver un lieu comparable aux grands march?s de rue, o? chacun pourrait vendre ses arguments en public." Mais, aujourd’hui, les voix qui se font le plus entendre sont souvent celles de groupes sociaux minoritaires mais puissants. "D?sormais, on ne pense presque qu’en termes de richesse ! " d?plore Yuan Yue. Or une soci?t? o? l’objectif principal est la recherche des valeurs mat?rielles est une soci?t? d?s?quilibr?e, surtout en Chine, o? les in?galit?s y atteignent un niveau dangereux. Yuan Yue, originaire d’une r?gion rurale, regrette que les couches moyenne et inf?rieure aient si peu leur mot ? dire.
Alors, la r?forme doit-elle venir des initiatives prises au sein du r?gime ou de l’impulsion de forces ext?rieures au syst?me [comme les r?gles du commerce international] ? Le professeur He Weifang, c?l?bre juriste de l’universit? de P?kin, est convaincu que la professionnalisation du syst?me juridique [longtemps soumis aux pressions politiques] a toutes les chances d’?tre la principale force motrice des prochaines r?formes. Quand le pouvoir d’Etat aura un peu c?d? de son omnipotence et que la fameuse "?conomie de march? r?gie par les lois" sera une r?alit?, "la justice sera la derni?re ligne de d?fense de l’?quit? sociale" dans une soci?t? au d?veloppement d?s?quilibr?, souligne He Weifang. Selon lui, construire un syst?me juridique ou l’am?liorer, c’est livrer une "course contre la corruption et la d?cadence de la soci?t?".
Tu Gangjian [professeur ? l’Ecole nationale de l’administration] souhaiterait pour sa part que l’on proc?de ? la r?forme de l’Etat en recourant aux m?thodes de la nouvelle gestion publique [New Public Management, ou NPM] qui a connu son essor dans les ann?es 80 en Grande-Bretagne et en Nouvelle-Z?lande. "Faire avancer les notions de d?mocratie par la r?forme de l’administration est une voie tout ? fait praticable en Chine actuellement." Sp?cialiste de la r?forme du service public, Tu Gangjian est le grand artisan du syst?me de "s?paration des trois pouvoirs" lanc? au sein de l’administration de la zone ?conomique sp?ciale de Shenzhen. [Depuis le printemps 2003, ce syst?me met en place une s?paration des instances de d?cision, de mise en oeuvre et de contr?le des politiques publiques.] Bien que cette s?paration des trois pouvoirs n’ait rien ? voir avec l’acception du terme en usage en Occident, "elle constitue malgr? tout une avanc?e tr?s importante, puisqu’en Chine toute modification dans l’administration est susceptible de toucher le coeur du gouvernement", explique monsieur Tu.
L’ann?e 2003 sera-t-elle symbolique dans l’histoire des r?formes ? Quelle sera la prochaine perc?e ? Dans quelle mesure les r?glements internationaux impos?s par des organisations comme l’Organisation mondiale du commerce influenceront-ils les r?formes ? Difficile de r?pondre ? ces questions. Apr?s vingt-quatre ans de r?forme, nous tenons beaucoup de choses pour acquises. Nous sommes facilement enthousiasm?s par telle exp?rimentation ou par des symboles superficiels du changement, tels que l’implantation d’un caf? d’une cha?ne am?ricaine en pleine Cit? interdite. La nouvelle g?n?ration, un t?l?phone portable coll? ? l’oreille, ne se sent peut-?tre pas tr?s concern?e par les notions de d?mocratie et de respect de l’individu. Sans modification de notre culture et de nos traditions, les changements techniques finissent par ?tre d?form?s et leur p?rennit? n’est pas garantie. Ainsi, alors qu’actuellement les discussions sont de plus en plus anim?es, un retour vers une tradition plus longue et plus ?prouv?e s’impose : comment aborder des cultures et des syst?mes radicalement diff?rents des n?tres ? Jusqu’o? pouvons-nous suivre des mod?les technocratiques ?
Dans la librairie de l’Ecole centrale des cadres du Parti, l’un des ouvrages les plus pris?s ?tait cet hiver le livre ?crit par la r?daction de l’organe officiel de l’?cole, Xuexi Shibao , intitul? Luori Huihuang [Splendeurs du soleil couchant], qui traite de la grandeur et de la d?cadence du r?gne de Kangxi aux XVIIe et XVIIIe si?cles. "Les ?tudiants sont de plus en plus jeunes et de plus en plus ouverts", se f?licite le professeur Wang Guixiu, qui enseigne ? l’Ecole centrale des cadres depuis 1978. Cependant, insiste -t-il, on attend toujours des gestes plus forts en faveur de l’instauration de la d?mocratie au sein du Parti, surtout pour une organisation qui compte 66 millions de membres... Changement ou r?forme, les transformations n’y ont en r?alit? jamais cess?.
Extraits de "JINGJI GUANCHA BAO" (Jinan)