Debating India

La r ?gionalisation en Asie

dimanche 1er juin 2003, par VERNIERS*Gilles

L’avenir de l’Asie passe par la constitution d’un r ?gionalisme ouvert sur le monde. Le constat est simple mais impossible ? r ?aliser ? court-terme. L’Asie est le seul des 3 piliers ?conomiques ? n’avoir ni organisation ni coordination v ?ritable. De fait, aucune alliance multilat ?rale, depuis l’OTASE en 54, n’a vraiment tenu en Asie, continent qui a ?rig ? en dogme la notion de non-ing ?rence dans les affaires int ?rieures des ?tats. L’Asie se consid ?re-t-elle elle-m ?me comme une r ?gion ? De toute ?vidence, ce n’est ni l’Europe ni les Balkans non plus. L’unification par la force par le Japon a ?chou ? et la s ?curit ? en Asie, ou pax americana, repose sur un r ?seau d’alliances bilat ?rales.

La crise asiatique de 97-98 a montr ? la faiblesse des ?conomies nationales, marqu ?es par l’opacit ? des syst ?mes d’interm ?diation financi ?re, par la sur ?valuation du miracle asiatique par les investisseurs ?trangers et par la logique mercantiliste et concurrentielle qui pr ?valait entre les ?tats eux-m ?mes.

Si le renouveau des valeurs asiatiques a tent ? de justifier des pratiques qui seraient sans doute jug ?es condamnables en Europe (intersection entre l’ ?tat et les chaebols, conglom ?rats d’entreprises, en Cor ?e du Sud, par exemple), la crise asiatique a contribu ? dans un premier temps ? briser l’illusion du lien existant entre ces m ?mes valeurs et le miracle ?conomique des ann ?es pr ?c ?dentes et ? mis ces pays, dans un second temps, dans l’obligation de proc ?der ? de s ?rieuses r ?formes internes.

L’Asie a-t-elle appris la le ?on de la crise asiatique ? Et la r ?solution de celle-ci va-t-elle pousser ? davantage de r ?gionalisation ? Rien n’est moins s ?r, tant restent vives les objections et r ?ticences ? l’interd ?pendance.

I) L’Asie est pass ?e du protectionnisme des ?tats dirigistes ? un march ? relativement ouvert, mais sans organisation.

L’int ?gration asiatique a ?t ? fond ?e sur une ?conomie de l’offre plut ?t que sur la construction d’un march ? commun, impliquant l’ ?laboration et l’application de r ?gles communes.

Les ?conomies asiatiques ont toujours eu tendance ? ?tre tourn ?es davantage sur l ’ext ?rieur que vers leurs voisins imm ?diats, dans une logique mercantiliste et de concurrence (en terme de co ?t de production et d’acc ?s aux march ?s d’exportations des pays tiers). Cette logique mercantiliste a emp ?ch ? tout effort de coordination entre les ?tats asiatiques. Par exemple, le Japon a longtemps d ?cal ? l’internationalisation du Yen (qui aurait pu permettre de stabiliser les cours tr ?s fluctuants des cours des autres monnaies asiatiques) afin de conserver l’avantage comparatif qu’il avait vis- ?-vis du dollar, par rapport aux autres monnaies asiatiques.

Le d ?collement ?conomique asiatique s’est heurt ? au plafond cr ?? par des politiques inaptes ? l’ ?conomie mondiale, conduisant la r ?gion ? produire bon march ?, loin derri ?re les soci ?t ?s occidentales dans l’ensemble plus innovatrices (la r ?volution technologique en Inde semble contredire ce point, mais reste n ?anmoins circonscrite ? une r ?gion particuli ?re), mettant la r ?gion enti ?re en danger de mexicanisation (contr ?le des entreprises par des partenaires ?trangers et transformation de l’ ?conomie en vaste zone de sous-traitance du monde d ?velopp ?).

Les instances r ?gionales (ASEAN, SAARC, APC...) sont r ?duites ? leur plus simple expression et ne pr ?voient aucun m ?canisme de contr ?le des crises ou des pouss ?es de fi ?vre sp ?culatives (notamment sur les IDE ? court-terme).

Les ?conomies asiatiques se sont laiss ?es aveugl ?es par leurs propres performances, ph ?nom ?nales il est vrai, en terme de croissance. Un march ? ? faible co ?t de production o ? le ratio ?pargne - consommation est beaucoup plus important qu’ailleurs (le taux d’ ?pargne tourne autour des 30-35 % en moyenne), alli ? ? un politique de taux d’int ?r ?t faible aux ?tats-Unis et en Europe, ce qui encourage les investissements ?trangers, tous les ingr ?dients ?taient l ?. Une entr ?e massive de capitaux (via les IDE et les exportations, notamment dans le secteur ?lectronique) ont permis aux pays d’Asie d’investir lourdement dans l’infrastructure (notamment dans l’immobilier, secteur hautement sp ?culatif) et d’accro ?tre le niveau de vie de leurs populations. Par exemple, entre 67 et 97, le revenu par habitant en Indon ?sie a ?t ? multipli ? par 10. C’ ?tait sans compter la faiblesse structurelle du secteur bancaire dans son ensemble, de la volatilit ? des IDE et de la d ?pendance aux ?conomies am ?ricaines et europ ?ennes.

L’Asie ne s’est pas donn ?e les moyens institutionnels et les politiques adapt ?es pour contrer les variations cycliques des IDE et des march ? en g ?n ?ral. L’ASEAN n’a pas su r ?agir aux multiples d ?fis qui lui avaient ?t ? lanc ? (feux de for ?ts en Indon ?sie, crise financi ?re et affaire du Timor oriental), ? cause du respect du principe de non-ing ?rence, de l’absence de m ?canismes collectifs, de la priorit ? donn ?e au consensus et de la r ?ticence chronique des dirigeants asiatiques ? fixer des ?ch ?ances.

II) cette absence de r ?gionalisation est fonction de la structure m ?me des ?conomies asiatiques et des divisions politiques internes et externes que ces pays connaissent.

On d ?gagera deux tendances lourdes :

a) La d ?pendance ?conomique et financi ?re ext ?rieure : spectre de la fuite des capitaux. (Cft supra).

b) La divergence des syst ?mes politiques, fragilis ?s par la crise asiatique et alimentant les rivalit ?s g ?opolitiques.

La constitution des ?tats asiatiques est r ?cente et parfois probl ?matique. Le d ?veloppement ?conomique est h ?t ?rog ?ne [1] et la culture ?conomique dirigiste et extravertie (tourn ?e vers l’ext ?rieur) pr ?domine. La r ?gion se retrouve atomis ?e et de fait fragilis ?e, car les diff ?rents ?tats se retrouvent confront ?s aux m ?me difficult ?s sans possibilit ? de coordination des efforts.

L’autorit ?, voire l’autoritarisme, de bon nombre de gouvernements reposaient sur les lauriers de la croissance. Une fois ceux-ci effrit ?s (retour du ch ?mage et de la pauvret ?), c’est la l ?gitimit ? de ces r ?gimes qui s’est retrouv ?e affect ?e. Le cas est flagrant en Indon ?sie, en proie au populisme de ses dirigeants (Megawati sukarnoputri) et au spectre de la dislocation [2] (tensions en Aceh, pers ?cution de la minorit ? chinoise de Java, troubles ? Kalimantan, s ?cession papoue, crise des Moluques, affaire du Timor oriental).

Paradoxalement, ces pouss ?es d ?mocratiques en Asie du Sud-est et en Asie du Sud ont contribu ? ? accentuer l’instabilit ? r ?gionale, ce qui a provoqu ? un d ?placement des flux de capitaux vers la Chine, autoritaire mais stable [3].

De vastes r ?formes, dont les plus urgentes ?taient les mesures d’assainissement du secteur bancaire (via le rachat des cr ?ances douteuses), ont ?t ? entreprises avec des succ ?s divers dans les autres pays concern ?s par la crise asiatique. A l’heure actuelle, la reprise est en cours pour les ?conomies asiatiques, qui semblent ?tre plus ou moins sorties du p ?trin de 97, sans que rien n’indique pour autant une pouss ?e du r ?gionalisme. Il est vrai que les ?tats asiatiques ont en r ?gle g ?n ?rale r ?gl ? leurs probl ?mes par eux-m ?mes, en relation avec le FMI ? l’ ?gard duquel ils nourrissent des ressentiments.

La Chine p ?se de tout son poids pour emp ?cher tout effort de r ?gionalisation (elle qui, en fin de compte, a b ?n ?fici ? de la crise, avec la stabilit ? du Yuan par rapport aux monnaies asiatiques en effondrement et avec les transferts d’IDE). Les diff ?rents partenaires asiatiques nourrissent des int ?r ?ts fort diff ?rents dans la r ?gion. On peut imaginer que la Chine ne souhaite pas voir ses relations commerciales avec Taiwan encadr ?es dans un syst ?me r ?gional d’interd ?pendance, o ? les autres partenaires auraient leur mot ? dire.

Le Japon, fort de son ?conomie et sans doute aussi en proie ? son histoire, ne s’est jamais engag ? dans le sens de la r ?gionalisation (ce qui ne l’a pas emp ?ch ? d’intervenir lors de la crise, via le plan Miyazaki d’aide mon ?taire notamment ? la Tha ?lande). Certains ?tats boudent l’ASEAN du fait de la participation de la Birmanie.

III) La r ?gionalisation asiatique ne suivra pas le mod ?le europ ?en

Les caract ?ristiques politiques et ?conomiques des ?tats asiatiques emp ?chent d’imaginer l’application de la m ?thode Monnet ? la r ?gion (int ?gration progressive via la mise en place d’un march ? commun instaurant petit ? petit des r ?glementations communes de mani ?re sectorielle, pour arriver ? de plus en plus d’interd ?pendance entre les ?tats membres). La Chine continue ? retarder la mise en place de l’AFTA (Asian Free Trade Area), initialement pr ?vue pour 2002.

Les difficult ?s ?voqu ?es plus haut (principe de non-ing ?rence, pr ?f ?rence pour le consensus, absence de m ?canismes collectifs...) rendent difficilement envisageable la mise en place d’un march ? commun. Toutefois, certain chantiers sont ouverts. On ?voque depuis quelques ann ?es la mise en place d’une coop ?ration mon ?taire, le Japon poussant ? la cr ?ation de la BAD (Banque Asiatique de D ?veloppement).

L’amorce d’une solidarit ? mon ?taire s’est affirm ?e par la cr ?ation du groupe de Manille (projet de mise en place de m ?canismes de surveillance r ?gionale — le REMU ou unit ? de surveillance ?conomique r ?gionale — et volont ? de renforcer les r ?glementations en mati ?re de politique mon ?taire). On ?voque aussi la possible cr ?ation d’un dollar asiatique ou plus simplement un ancrage du yen au dollar am ?ricain.

L’avenir de la r ?gionalisation sera tributaire en grand partie de la situation ?conomique et de l’ ?volution de la politique r ?gionale. Nous avons vu qu’une situation ?conomique d ?favorable faisait ?merger les vieux r ?flexes nationaux et il n’est pas risqu ? de penser qu’une nouvelle r ?cession ruinerait les quelques efforts d’ores et d ?j ? entrepris.

Au niveau politique, les relations tendues entre la Chine et le Japon, l’impact et le r ?le des ?tats-Unis dans la r ?gion (peu enclin ? voir ?merger la r ?gionalisation entre des acteurs qu’elle entend ma ?triser ; ?conomiquement hier et au nom de la lutte contre le terrorisme aujourd’hui), l’instabilit ? int ?rieure de l’Indon ?sie et le durcissement des tensions indo-pakistanaises vis- ?-vis du Cachemire et du nucl ?aire (tensions qui ont pour effet de geler la SAARC, qui ne se r ?unit plus depuis 98) sont autant d’ ?cueils ? l’int ?gration r ?gionale.

A long terme, c’est la g ?o - ?conomie qui devra prendre le pas sur la g ?ostrat ?gie.

Notes

[1] En t ?moigne les divergences d’int ?r ?t entre les centres financiers que sont Hong-Kong, Singapour et Ta ?wan, pays pr ?teurs, et les autres pays d ?bitaires, soumis ? la r ?glementation du FMI.

[2] Pour rappel, l’Indon ?sie comporte ? peu pr ?s 200 millions d’habitants, r ?partis sur plus de 17 000 ?les.

[3] On parle d’un vote financier pour l’autoritarisme.

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