Bagdad de notre envoy? sp?cial
Les "agents de s?curit?" venus chercher des dollars dans l’eldorado irakien sont souvent muets. C’est stipul? dans leurs contrats. Les soci?t?s am?ricaines et britanniques qui les emploient cultivent une v?ritable religion du secret, et elles n’ont gu?re besoin de communiquer pour d?crocher des contrats mirobolants.
Le n?ophyte d?couvre parfois soudainement que la protection de l’administrateur civil, Paul Bremer, et de son cabinet, fonctionnaires du gouvernement am?ricain, est assur?e par une compagnie priv?e, Blackwater USA. Les gardes de M. Bremer avaient pourtant l’allure et l’armement des forces sp?ciales am?ricaines... et pour cause : tous sont des v?t?rans, encore jeunes, des Navy Seals, commandos Delta et autres forces sp?ciales.
Si Blackwater, une soci?t? bas?e en Caroline du Nord qui appr?cie avant tout la discr?tion, est devenue si c?l?bre en Irak, c’est avant tout... pour ses pertes. Deux affaires ont notamment meurtri l’entreprise : ? Fallouja en avril, quatre de ses paramilitaires sont tu?s, mutil?s, br?l?s, et deux cadavres sont suspendus ? un pont, entra?nant l’offensive des marines et une d?faite politiquement catastrophique pour les Etats-Unis en Irak ; ? Bagdad en juin, quatre de ses hommes meurent dans une embuscade entre la "zone verte" - le quartier g?n?ral am?ricain - et l’a?roport.
QUINZE HEURES DE COMBAT
"Blackwater, ce sont des cow-boys, des guignols, ironise un agent de s?curit? europ?en. Ils ont le look "paramilitaires de la CIA". Ils roulent dans Bagdad ? toute allure, en 4 ? 4, vitres ouvertes et fusils d’assaut braqu?s sur les automobilistes et les passants. Evidemment, ?a ?nerve. Ils ne doivent donc pas s’?tonner d’?tre rep?r?s."
Car le convoi de Blackwater pi?g? sur la route de l’a?roport ?tait attendu. "Ils ont ?t? pris en filature par trois pick-up, raconte un consultant britannique. Arriv?s pr?s d’un champ de broussailles, un pick-up a bloqu? la route et les deux autres sont mont?s ? l’assaut, par derri?re et par le c?t?. Les quatre types de la seconde voiture Blackwater sont morts avant d’avoir eu le temps de tirer une balle. Les types de la premi?re voiture se sont arr?t?s et se sont mis en position de combat, pensant faire face aux pick-up, mais ils ont eu la surprise de voir d’autres assaillants sortir des broussailles et avancer. Ils ont r?ussi ? traverser l’autoroute, ? braquer un automobiliste irakien qui passait par l? et ? s’enfuir." Les agents de Blackwater ?taient donc attendus, et ils ont ?t? victimes d’une op?ration militaire certes classique, mais parfaitement orchestr?e. R?sultat : Blackwater est en train de perdre des contrats.
D’autres incidents s?rieux, allant jusqu’? des batailles de douze ? quinze heures, ont impliqu? des compagnies priv?es de s?curit? ces derniers mois, sans que cela se sache forc?ment. A Kut, en avril, les quatre agents de la soci?t? Hart avaient apparemment re?u l’ordre d’arr?ter de verser sa d?me ? un chef tribal : ils ont essuy? un assaut en r?gle durant toute la nuit, devant combattre du toit de leur maison ? l’arme l?g?re face ? des lance-roquettes, avant d’?tre sauv?s ? l’aube par des voisins qui les ont exfiltr?s et leur ont offert des djellabahs. Sur les quatre hommes, il y a un mort et trois bless?s. A Mossoul, ? la m?me ?poque, les hommes d’Erynis ont affront? le m?me sc?nario de l’assaut de la maison, avant d’?tre eux aussi sauv?s par des voisins.
Sur l’autoroute entre Fallouja et Ramadi, ? l’ouest de Bagdad, toujours au printemps, un convoi d’agents de s?curit? sud-africains est tomb? dans une embuscade, mais leur sc?nario a ?t? bien diff?rent. Moins timides que des Am?ricains un peu paum?s en Irak, les Sud-Africains, ex-soldats des forces
sp?ciales de l’apartheid ou ex-mercenaires de toutes les guerres africaines, r?pliquent, puis montent ? l’assaut. "Une fois les vingt secondes de surprise pass?es, ils ont fait ce qu’ils savent faire, ils ont commenc? ? "travailler", t?moigne l’agent europ?en, admiratif. Ils ont tu? quinze moudjahidins, et les survivants se sont enfuis... Les "Sud-Af" ont eu deux morts dans les tirs contre les voitures, mais aucun pendant l’assaut. Ce sont des "pros"." R?cemment, un consultant demandait ? un chef d’unit? sud-africain s’il avait d?j? utilis? son arme en Irak. Eclat de rire de l’autre, qui r?torque : "Tu plaisantes, mes hommes et moi, on flingue en moyenne un Irakien par jour !"
Et puis il y a ces soci?t?s dont personne n’entend jamais parler en Irak, et qui en sont fort satisfaites. Aics Consultants, la seule compagnie fran?aise de s?curit? priv?e ? Bagdad, tente de s’attirer des contrats en prenant le contre-pied des compagnies am?ricaines. Jean-Philippe L., son chef, est arriv? en f?vrier "? l’aventure" avec un compagnon et trois voitures blind?es. Apr?s avoir travaill? pour la cha?ne de t?l?vision BBC, il ?uvre aujourd’hui ? la protection d’une soci?t? am?ricaine de construction.
"Nous, nous privil?gions le profil bas, raconte-t-il. Nous vivons en ville, ce qui serait inconcevable pour des Am?ricains ou des Britanniques, et nous avons de bons contacts avec la soci?t? irakienne. Nous avons des assistants irakiens, tous ex-militaires form?s en France dans les ann?es 1980, qui n?gocient pour nous avec les chefs de tribu. Nos armes sont cach?es sous nos chemises, nous portons des keffiehs, nous ne roulons jamais en convoi et pr?f?rons nous fondre dans la circulation. Bref, on se fait discrets. Les Anglo-Saxons, lorsqu’ils sortent de leur h?tel, on a ? chaque fois l’impression qu’ils partent en guerre."
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