L’histoire commence en 1991. A la t?te d’une vingtaine de nostalgiques de la grande nation afrikaner, Carel Boshoff - charismatique id?ologue et membre du Freedom Front
d?cide de fonder un village r?serv? aux Blancs sur des terres priv?es du Northern
Cape. Cet ultime r?duit de l’Afrique du Sud s?gr?gationniste, qui se veut ?conomiquement autosuffisant, s’enorgueillit aujourd’hui d’une population de six cents ?mes, la plupart travaillant dans les 3 000 hectares de fermes.
Perdu au milieu des exploitations qu’irrigue le fleuve Orange, Orania pourrait ressembler ? n’importe quel lotissement de banlieue : les maisons de plain-pied aux toits de t?le ondul?e y sont align?es suivant le tr?s anglo-saxon plan en carr?. Deux d?tails indiquent cependant la particularit? du lieu. Il y a d’abord la statue d’Hendrik Verwoerd, architecte de l’apartheid entre 1958 et 1966, qui semble pr?sider d’un oeil bienveillant au destin de ses ouailles. Mais plus troublante est la toponymie locale. Les douze rues d’Orania portent en effet chacune le nom de l’une des pierres pr?cieuses qui, dans l’Apocalypse de Jean, ornent les douze portes de la J?rusalem c?leste. Voil? qui pose sans conteste l’essence divine du lieu et r?active le mythe afrikaner de l’appartenance ? un peuple ?lu. Forts de cette certitude, les habitants d’Orania n’ont de cesse depuis dix ans d’afficher leur non-all?geance aux gouvernements provinciaux, revendiquant haut et fort leur attachement au d?veloppement s?par? et ? l’autod?termination. C’est ainsi qu’en 1995 le village organise sa propre ?lection municipale en marge des scrutins nationaux et ?lit - entre autres - Carel Boshoff et sa femme, Anna Verwoerd, la fille d’Hendrik.
Cette premi?re ?lection, pourtant juridiquement invalide, est pour la communaut? une v?ritable victoire, pied de nez au gouverneur ANC de la r?gion et surtout potentielle premi?re ?tape de la cr?ation d’un Etat afrikaner (Volkstaat) qui pourrait s’?tendre jusqu’? la fa?ade atlantique. Apr?s ce semi-?chec politique, les Oraniens ont r?cidiv? sur le terrain ?conomique en cr?ant leur monnaie. "L’id?e ma?tresse est centr?e sur l’objectif ultime de l’ind?pendance d’Orania", a pr?cis? la porte-parole du village, Eleanor Lombard. Les habitants d’Orania avaient ? choisir entre cinq noms pour leur monnaie : feuille, noix, talent, orion et ora. Le dernier nom l’a emport? gr?ce ? ses sonorit?s latines (aurum, or) et des coupures de 10, 20, 50 et 100 ont ?t? imprim?es, reproduisant l’image d’une femme en tenue traditionnelle portant un b?b? dans les bras. Mme Lombard affirme que cette initiative devrait contribuer "? la croissance ?conomique locale" et renforcer le poids politique de cette communaut? dont les convictions restent - malgr? tout - tr?s marginales en Afrique du Sud.