Entra?nement, protection des personnalit?s, logistique, s?curisation des installations p?troli?res : 40 entreprises travaillent en permanence pour le Pentagone, pour un march? global estim? ? 100 milliards de dollars par an. Alors que le secr?taire ? la d?fense, Donald Rumsfeld, doit ?tre entendu par le Congr?s, vendredi, George Bush a, jeudi, pr?sent? ses excuses pour ces actes, assurant qu’il "?tait d?sol? des humiliations subies par les prisonniers irakiens".
New York de notre correspondant
Des entreprises priv?es entra?nent les troupes am?ricaines dans le d?sert, gardent nuit et jour des personnalit?s comme le pr?sident afghan Hamid Karza?, entretiennent et prot?gent des ambassades et des bases ? l’?tranger, interrogent des prisonniers et recueillent des renseignements. Les contractants de l’arm?e am?ricaine ne sont plus cantonn?s depuis longtemps ? la seule logistique. Mais jamais, dans l’histoire de l’arm?e am?ricaine, les t?ches civiles et militaires n’ont ?t? autant m?l?es.
Ce sont des "priv?s" qui prot?gent Paul Bremer, l’administrateur civil en Irak, et ce sont des militaires assis au c?t? des chauffeurs civils des camions de Kellogg Brown & Root, la filiale de Halliburton, qui prot?gent les convois assurant l’approvisionnement des troupes am?ricaines. Environ 20 000 contractants seraient aujourd’hui en Irak, deux fois plus que de soldats britanniques.
Washington a justifi? le recours croissant ? des entreprises priv?es pour des missions aussi sensibles que le renseignement par la n?cessit? de trouver, dans l’urgence, apr?s les attaques du 11 septembre 2001, des linguistes, des traducteurs et plus tard des professionnels capables de faire parler les prisonniers en Afghanistan et en Irak.
Pour se faire une id?e des besoins du Pentagone, il suffit de consulter les dizaines de sites sur Internet proposant des emplois en Irak aussi bien de debriefers (sp?cialiste des interrogatoires) que de linguistes, d’interpr?tes, de sp?cialistes des crimes de guerre ou d’experts du contre-espionnage.
Mais le syst?me est maintenant s?rieusement contest?. Le repr?sentant d?mocrate Jan Schakowsky a ?crit ? George Bush pour lui demander de suspendre imm?diatement les contrats avec les firmes impliqu?es dans la surveillance, la s?curit? et l’interrogatoire des d?tenus. Jusqu’? aujourd’hui, les scandales impliquant des "priv?s" du Pentagone ?taient surtout des faits de corruption et un r?seau de prostitution d?couvert en 2001 en Bosnie et dirig? par des salari?s de DynCorp.
Cette fois, deux soci?t?s, CACI International et Titan, sont soup?onn?es d’?tre impliqu?es dans les s?vices inflig?s aux d?tenus irakiens ? Abou Ghraib. Leur r?le exact reste ? pr?ciser. Mais le rapport de 53 pages r?dig? par le g?n?ral Antonio Taguba et r?v?l? par le magazine New Yorker d?nonce trois employ?s qui auraient particip? ou assist? aux exactions. Aucune poursuite n’a pour l’instant ?t? engag?e contre eux ou contre les soci?t?s, et aucune sanction n’a ?t? prise.
Le premier cit?, Steven Stefanowicz, aurait ordonn? les actes de torture. Cet employ? de la soci?t? CACI International est d?crit comme un interrogateur civil assign? ? la 205e brigade de renseignement militaire. CACI International, dont le si?ge se trouve ? Arlington en Virginie, ? quelques kilom?tres du Pentagone et du quartier g?n?ral de la CIA, est une soci?t? cot?e, fond?e en 1962. Son principal m?tier est la r?alisation de programmes informatiques sophistiqu?s "afin de pr?valoir dans la nouvelle ?re de la d?fense, du renseignement et du gouvernement ?lectronique". Par exemple, CACI International g?re les courriels du d?partement d’Etat et assure le contr?le de la logistique d’une bonne partie de la flotte de surface am?ricaine.
Les activit?s de la soci?t? dans le domaine du renseignement sont li?es ? l’acquisition, l’an dernier, d’une petite entreprise baptis?e Premier Technology Group. Cette derni?re fournit ? plusieurs agences am?ricaines de la technologie, de la formation et des hommes pour recueillir et traiter les informations.
AUCUNE SANCTION
Lors d’une conf?rence de presse mercredi, le patron de CACI International, Jack London, a annonc? l’intention de la soci?t? de "mener -sa- propre enqu?te. Nous ne sommes simplement pas capables de confirmer qu’un employ? de CACI est impliqu? dans les mauvais traitements -en Irak-. Nous n’avons pas acc?s au rapport de l’arm?e. CACI ne tol?rera et ne soutiendra aucun comportement ill?gal et inopportun de la part d’aucun de ses employ?s dans aucune circonstance, ? aucun moment et ? aucun endroit". M. London a pr?cis? que les interrogatoires repr?sentent moins de 1 % de l’activit? de la soci?t?.
CACI, qui emploie 9 400 personnes, a r?alis? l’an dernier un chiffre d’affaires de 843 millions de dollars et poss?de une centaine de bureaux en Am?rique du Nord et en Europe. Un peu plus de 63 % de ses revenus proviennent de contrats avec le d?partement de la d?fense et 29 % avec d’autres agences f?d?rales.
Les deux autres contractants cit?s dans le rapport interne de l’arm?e, John Israel et Adel Nakhla, sont consid?r?s comme des t?moins des exactions. Ils sont pr?sent?s comme des traducteurs civils assign?s ? la m?me brigade de renseignement que M. Stefanowicz. MM. Israel et Nakhla sont des employ?s de Titan, une soci?t? qui fournit de nombreux traducteurs ? l’arm?e am?ricaine. L’entreprise ?tablie ? San Diego en Californie est cot?e en Bourse. Elle a pour principale activit? la vente de syst?mes d’information et de communication aux agences gouvernementales. Titan est aussi sp?cialis?e dans le traitement des images num?riques, les d?tecteurs, les lasers et m?me les ?quipements m?dicaux de st?rilisation. Cr??e en 1981, elle emploie 11 500 personnes et a r?alis? l’an dernier un chiffre d’affaires de 1,78 milliard de dollars. Le contrat qui la lie ? l’arm?e pour la fourniture de services de traduction remonte ? 1999 et repr?sente 7 % de ses revenus. "Nous n’avons re?u, ? ce jour, aucune mise en cause officielle de la part du gouvernement am?ricain. Nous n’avons jamais fourni de personnes pour mener des interrogatoires. En Irak -nous assurons- des services linguistiques et de traduction", explique un porte-parole.
Les employ?s de CACI et Titan ont de grandes chances d’?chapper ? toute sanction. Ils tombent dans un v?ritable no man’s land juridique. Selon la loi militaire, un civil travaillant pour l’arm?e n’est pas passible de la Cour martiale tant que le Congr?s n’a pas d?clar? la guerre. Dans le cas irakien, il ne l’a jamais fait.