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L’empire Carlyle

jeudi 29 avril 2004, par LESER*Eric

plus grand investisseur priv ? du monde, bien implant ? dans le secteur de l’armement, est un groupe discret, qui cultive les accointances avec les hommes influents, dont les Bush, p ?re et fils.

Il y a un an, le 1er mai 2003, George Bush atterrissait, sangl ? dans une combinaison de pilote de chasse, sur le porte-avions USS Abraham-Lincolnau large de la Californie. L’image est devenue c ?l ?bre. Sous une banderole proclamant "Mission accomplished" (mission accomplie), le pr ?sident annon ?ait pr ?matur ?ment la fin des op ?rations militaires en Irak et sa victoire. Le lendemain, de retour sur la terre ferme, il pronon ?ait un autre discours martial, non loin de San Diego, dans une usine d’armement d’United Defense Industries.

Cette entreprise est l’un des principaux fournisseurs du Pentagone. Elle fabrique, entre autres, des missiles, des v ?hicules de transport et, en Californie, le blind ? l ?ger Bradley. Son principal actionnaire est le plus grand investisseur priv ? au monde. Un groupe discret, baptis ? Carlyle.

Il n’est pas cot ? en Bourse et n’a de comptes ? rendre qu’ ? ses 550 investisseurs — milliardaires ou fonds de pension. Carlyle g ?re aujourd’hui 18 milliards de dollars, plac ?s dans les secteurs de la d ?fense et de la haute technologie (biologie notamment), le spatial, l’informatique li ?e ? la s ?curit ?, les nanotechnologies, les t ?l ?communications. Les entreprises qu’il contr ?le ont pour caract ?ristique commune d’avoir pour clients principaux des gouvernements et administrations. Comme la soci ?t ? l’a ?crit dans une brochure : " Nous investissons dans des opportunit ?s cr ??es dans des industries fortement affect ?es par des changements de politique gouvernementale."

Carlyle est un mod ?le unique, construit ? l’ ?chelle plan ?taire sur le capitalisme de relations ou le " capitalisme d’acc ?s" pour reprendre l’expression du magazine am ?ricain New Republic, en 1993. Le groupe incarne aujourd’hui, malgr ? ses d ?n ?gations, le "complexe militaro-industriel" contre lequel le pr ?sident r ?publicain Dwight Eisenhower mettait en garde le peuple am ?ricain en quittant ses fonctions, en 1961.

Cela n’a pas emp ?ch ? George Bush p ?re d’occuper pendant dix ans, jusqu’en octobre 2003, un poste de conseiller de Carlyle. C’ ?tait la premi ?re fois dans l’histoire des Etats-Unis qu’un ancien pr ?sident travaillait pour un fournisseur du Pentagone. Son fils, George W. Bush conna ?t aussi tr ?s bien Carlyle. Le groupe lui a trouv ? un emploi en f ?vrier 1990, alors que son p ?re occupait la Maison Blanche : administrateur de Caterair, une soci ?t ? texane sp ?cialis ?e dans la restauration a ?rienne. L’ ?pisode ne figure plus dans la biographie officielle du pr ?sident. Quand George W. Bush quitte Caterair, en 1994, avant de devenir gouverneur du Texas, l’entreprise est mal en point.

"Il n’est pas possible d’ ?tre plus proche de l’administration que l’est Carlyle", affirme Charles Lewis, directeur du Centre pour l’int ?grit ? publique, une organisation non partisane de Washington. "George Bush p ?re a gagn ? de l’argent provenant d’int ?r ?ts priv ?s qui travaillent pour le gouvernement dont son fils est le pr ?sident. On peut m ?me dire que le pr ?sident pourra un jour b ?n ?ficier financi ?rement, via les investissements de son p ?re, de d ?cisions politiques qu’il a prises", ajoute-t-il.

La collection de personnages influents qui travaillent, ont travaill ? ou ont investi dans le groupe ferait l’incr ?dulit ? des adeptes les plus convaincus de la th ?orie du complot. On y trouve entre autres : John Major, ancien premier ministre britannique, Fidel Ramos, ancien pr ?sident philippin, Park Tae Joon, ancien premier ministre de la Cor ?e du Sud, le prince saoudien Al-Walid, Colin Powell, actuel secr ?taire d’Etat, James Baker III, ancien secr ?taire d’Etat, Caspar Weinberger, ancien secr ?taire ? la d ?fense, Richard Darman, ancien directeur du budget ? la Maison Blanche, le milliardaire George Soros et m ?me des membres de la famille Ben Laden. On peut ajouter ? cette liste Alice Albright, la fille de Madeleine Albright, ancienne secr ?taire d’Etat, Arthur Lewitt, ancien pr ?sident de la SEC (le gendarme de Wall Street), William Kennard ex-patron de l’autorit ? des t ?l ?communications (FCC). Enfin, il faut ajouter, parmi les Europ ?ens, Karl Otto P ?hl, ancien pr ?sident de la Bundesbank, feu Henri Martre, qui a ?t ? pr ?sident de l’Aerospatiale, et Etienne Davignon, ancien pr ?sident de la G ?n ?rale de Belgique.

Carlyle n’est pas seulement une collection d’hommes de pouvoir. Il poss ?de des participations dans pr ?s de 200 soci ?t ?s et surtout, la rentabilit ? annuelle de ses fonds d ?passe 30 % depuis une d ?cennie. "Par rapport aux cinq cents personnes que nous employons dans le monde, le nombre d’anciens hommes d’Etat est tr ?s faible, une dizaine tout au plus, explique Christopher Ullmann, vice-pr ?sident de Carlyle, responsable de la communication. On nous accuse de tous les maux. Mais personne n’a jamais apport ? la preuve d’une quelconque malversation. Aucune proc ?dure judiciaire n’a jamais ?t ? lanc ?e contre nous. Nous sommes une cible commode pour qui veut s’en prendre au gouvernement am ?ricain et au pr ?sident."

Carlyle a ?t ? cr ?? en 1987, avec 5 millions de dollars, dans les salons du palace new-yorkais du m ?me nom. Ses fondateurs, quatre juristes, dont David Rubenstein (ancien conseiller de Jimmy Carter), ont alors pour ambition - limit ?e - de profiter d’une faille de la l ?gislation fiscale. Elle autorise les soci ?t ?s d ?tenues en Alaska par des Eskimos ? c ?der leurs pertes ? des entreprises rentables qui payent ainsi moins d’imp ?ts. Le groupe v ?g ?te jusqu’en janvier 1989 et l’arriv ?e ? sa t ?te de l’homme qui inventera le syst ?me Carlyle, Frank Carlucci. Ancien directeur adjoint de la CIA, conseiller ? la s ?curit ? nationale puis secr ?taire ? la d ?fense de Ronald Reagan, M. Carlucci compte ? Washington. Il est l’un des amis les plus proches de Donald Rumsfeld, actuel ministre de la d ?fense. Ils ont partag ? une chambre quand ils ?taient ?tudiants ? Princeton. Ils se sont ensuite crois ?s dans de nombreuses administrations et ont m ?me travaill ?, un temps, pour la m ?me entreprise, Sears Robuck.

Six jours apr ?s avoir officiellement quitt ? le Pentagone, le 6 janvier 1989, Frank Carlucci devient directeur g ?n ?ral de Carlyle. Il emm ?ne avec lui des hommes de confiance, anciens de la CIA, du d ?partement d’Etat et du minist ?re de la d ?fense. Surnomm ? "M. Clean" ("M. Propre"), Frank Carlucci a une r ?putation sulfureuse.

Ce diplomate ?tait en poste dans les ann ?es 1970 dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Congo, la Tanzanie, le Br ?sil et le Portugal o ? les Etats-Unis et la CIA ont jou ? un r ?le politique douteux. Il ?tait le num ?ro deux de l’ambassade am ?ricaine au Congo belge, en 1961, et a ?t ? soup ?onn ? d’ ?tre impliqu ? dans l’assassinat de Patrice Lumumba. Il a toujours fermement d ?menti. La presse am ?ricaine l’a aussi accus ? d’ ?tre impliqu ? dans plusieurs trafics d’armes dans les ann ?es 1980, mais il n’a jamais ?t ? poursuivi. Il a dirig ? un temps Wackenhut, une soci ?t ? de s ?curit ? ? la r ?putation d ?testable, impliqu ?e dans l’un des plus grands scandales d’espionnage, le d ?tournement du logiciel Promis. Frank Carlucci a eu pour mission de faire le m ?nage dans l’administration Reagan au moment de l’affaire Iran-Contra et a succ ?d ? alors au poste de conseiller ? la s ?curit ? nationale ? John Pointdexter. En entrant en fonctions, il avait pris comme adjoint un jeune g ?n ?ral... Colin Powell.

Sur son nom, Frank Carlucci attire les capitaux chez Carlyle. En octobre 1990, le groupe s’empare de BDM International qui participe au programme de "guerre des ?toiles", et en fait une t ?te de pont. En 1992, Frank Carlucci s’allie avec le groupe fran ?ais Thomson-CSF pour reprendre la division a ?rospatiale de LTV. L’op ?ration ?choue, le Congr ?s s’oppose ? la vente ? un groupe ?tranger. Carlyle trouve d’autres associ ?s, Loral et Northrop, et met la main sur LTV Aerospace rapidement rebaptis ? Vought Aircraft qui participe ? la fabrication des bombardiers B1 et B2.

Dans le m ?me temps, le fonds multiplie les acquisitions strat ?giques, telles Magnavox Electronic Systems, pionnier en mati ?re d’imagerie radar, et DGE qui d ?tient la technologie des cartes en relief ?lectroniques pour les missiles de croisi ?re. Suivent trois soci ?t ?s sp ?cialis ?es dans la d ?contamination nucl ?aire, chimique et bact ?riologique (Magnetek, IT Group et EG & G Technical services). Puis, via BDM International, une firme li ?e ? la CIA, Vinnell, laquelle est parmi les premi ?res ? fournir ? l’arm ?e am ?ricaine et ses alli ?s des contractants priv ?s. C’est- ?-dire des mercenaires. Ceux de Vinnell encadrent les forces arm ?es saoudiennes et prot ?gent le roi Fahd. Ils ont combattu lors de la premi ?re guerre du Golfe aux c ?t ?s des troupes saoudiennes. En 1997, Carlyle revend BDM et surtout Vinnell, trop dangereux. Le groupe n’en a plus besoin. Il est devenu le onzi ?me fournisseur du Pentagone en mettant la main la m ?me ann ?e sur United Defense Industries.

Carlyle sort de l’ombre malgr ? lui le 11 septembre 2001. Ce jour-l ?, le groupe organise au Ritz Carlton de Washington une r ?union avec cinq cents de ses plus importants investisseurs. Frank Carlucci et James Baker III jouent les ma ?tres de c ?r ?monie. George Bush p ?re fait un passage ?clair en d ?but de journ ?e. La pr ?sentation est rapidement interrompue, mais un d ?tail n’ ?chappe ? personne. Un des invit ?s porte sur son badge le nom de Ben Laden. Il s’agit de Shafiq Ben Laden, un des nombreux demi-fr ?res d’Oussama. Les m ?dias am ?ricains d ?couvrent Carlyle. Un journaliste, Dan Briody, ?crit un livre sur la face cach ?e du groupe, The Iron Triangle, et s’int ?resse notamment aux relations ?troites entre le clan Bush et les dirigeants saoudiens.

Certains s’interrogent sur l’influence de George Bush p ?re sur la politique ?trang ?re am ?ricaine. En janvier 2001, lorsque George Bush fils rompt des n ?gociations avec la Cor ?e du Nord sur les missiles, les Cor ?ens du Sud, constern ?s, interviennent aupr ?s de son p ?re. Carlyle a des int ?r ?ts importants ? S ?oul. En juin 2001, Washington reprend les discussions avec Pyongyang.

Autre exemple, en juillet 2001, selon le New York Times, George Bush p ?re t ?l ?phone au prince saoudien Abdallah m ?content des prises de position du pr ?sident sur le conflit isra ?lo-palestinien. George Bush p ?re assure alors au prince que son fils "fait de bonnes choses" et que "son c ?ur est du bon c ?t ?". Larry Klayman, directeur de Judicial Watch, une organisation r ?solument conservatrice, demande au " p ?re du pr ?sident de d ?missionner de Carlyle. Le groupe a des conflits d’int ?r ?ts qui peuvent cr ?er des probl ?mes ? la politique ?trang ?re am ?ricaine". Finalement en octobre 2003, George Bush p ?re quitte Carlyle. Officiellement, car il approche les 80 ans.

Carlyle a beau mettre fin ? toute relation avec la famille Ben Laden en octobre 2001, le mal est fait. Le groupe devient avec Halliburton la cible des opposants ? l’administration Bush. " Carlyle a remplac ? la Commission trilat ?rale dans les th ?ories du complot", reconnaissait David Rubenstein, en 2003, dans une interview au Washington Post. Pour la premi ?re fois, le groupe nomme un responsable de la communication et change de patron. Frank Carlucci devient pr ?sident honoraire et Lou Gerstner, dirigeant respect ? qui a sauv ? IBM, prend officiellement les r ?nes. L’op ?ration semble surtout cosm ?tique. M. Gerstner ne passe pas beaucoup de temps ? son bureau. Mais Carlyle veut devenir respectable.

Le groupe cr ?e un site Internet. Il ouvre certains fonds ? des investisseurs apportant "seulement" 250 000 dollars (210 000 euros). Il aurait r ?duit sa participation dans United Defense Industries, et affirme que la d ?fense et l’a ?rien ne repr ?sentent plus que 15 % de ses investissements. Mais Carlyle fait toujours un usage intensif des paradis fiscaux et il est difficile de conna ?tre son p ?rim ?tre et le nom des soci ?t ?s qu’il contr ?le.

Carlyle multiplie aussi les efforts en Europe. En septembre 2000, il prend le contr ?le du groupe su ?dois d’armement Bofors via United Defense. Il tente ensuite, sans succ ?s, de mettre la main sur Thales Information Systems et, d ?but 2003, sur les parts de France T ?l ?com dans Eutelsat, qui joue un r ?le important dans le syst ?me europ ?en de positionnement par satellite Galileo - concurrent du GPS am ?ricain. De 1999 ? 2002, il g ?re une participation dans Le Figaro. En Italie, il fait une perc ?e en reprenant la filiale a ?ronautique de Fiat, Fiat Avio. Cette soci ?t ? fournit Arianespace et permet ? Carlyle d’entrer au Conseil de la fus ?e europ ?enne. Autre coup, en d ?cembre 2002 Carlyle ach ?te un tiers de Qinetic, la filiale priv ?e du Centre de recherche et d ?veloppement militaire britannique. Qinetic occupe une position unique de conseil du gouvernement britannique.

"Anticiper sur les technologies du futur et les entreprises qui les d ?velopperont est notre premier r ?le d’investisseur. Les fonds de pension nous apportent leur argent pour cela. On ne peut tout de m ?me pas nous reprocher de chercher ? prendre des positions strat ?giques", souligne M. Ullmann.

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