Debating India

Forum social mondial

Bombay, mis?re et d?mesure

Pierre PRAKASH

Friday 16 January 2004, by PRAKASH*Pierre

Article paru dans Lib?ration, ?dition en ligne du vendredi 16 janvier 2004.

Pollution, surpopulation, pauvret? ; la ville, caricature in?galitaire dirig?e par un maire extr?miste, incarne jusqu’? l’extr?me l’asphyxie urbaine.

Bombay envoy? sp?cial

D?s l’atterrissage, la r?alit? sociale de la capitale financi?re indienne saute aux yeux. Agglutin?s au mur d’enceinte de l’a?roport, les bidonvilles ont envahi le moindre espace. Une mis?re criante que l’on retrouve partout, du centre ville aux banlieues les plus ?loign?es. Le long des grands axes et des voies ferr?es, entre les immeubles, pas un centim?tre carr? qui ne soit occup? par des campements de fortune ou des cabanes branlantes. Caricature des in?galit?s sociales, la plus riche des villes indiennes h?berge plus de la moiti? de ses douze millions d’habitants dans des bidonvilles insalubres, sans eau courante, ni ?lectricit?. Dans le m?me temps, la ville compte, ? elle seule, plus de millionnaires que tout le reste du pays. Les panneaux publicitaires g?ants et les voitures de luxe t?moignent de la fr?n?sie de consommation des milieux ais?s. Car Bombay est aussi la ville des banques, la destination pr?f?r?e des multinationales, le si?ge des plus grands groupes indiens, ceux dont le chiffre d’affaires se compte en milliards d’euros. Plus de 90 % des transactions bancaires du pays ont lieu ici, 80 % des fonds mutuels y sont plac?s et le port assure 40 % du commerce maritime national. Une ville symbole, en somme, d’une ?conomie en plein essor. En 2003, l’index boursier s’est envol? de 73 %.

?Sp?culation?. ?C’est la seule ville au monde o? la moiti? des habitants vit dans des bidonvilles et l’autre moiti? dans des gratte-ciel ou des immeubles victoriens?, caricature Darryl Dell’Monte, ?cologiste et ancien journaliste. Bombay trop riche peut-?tre, Bombay trop pauvre surtout, Bombay surpeupl?e, assur?ment. Erig?e sur une p?ninsule d?sormais totalement engorg?e, la ville, rebaptis?e Mumbai en 1996, est l’une des plus dens?ment peupl?es au monde. Dix-huit millions de personnes, en comptant les banlieues ?loign?es. Symbole de cette d?mesure, les trains en provenance des banlieues-dortoirs transportent chaque jour plus de cinq millions de passagers. Le quartier de Dharavi d?tient le triste record du plus grand bidonville d’Asie : pr?s d’un million de personnes entass?es sur 1,5 km2.

Jusqu’au milieu des ann?es 90, le prix du terrain ?tait aussi cher qu’? Tokyo ou Hongkong. Bombay incarne plus que toute autre la jungle urbaine des pays en d?veloppement : embouteillages sans fin, pollution record, explosion d?mographique, ch?mage end?mique... Cons?quences d’une absence totale de politique publique, ou plut?t d’une politique destin?e en premier lieu aux milieux les plus ais?s. ?Bombay est la preuve que la collusion entre politiciens, financiers et agents immobiliers peut r?ellement prendre en otage une ville enti?re, commente Rahul Srivastava, sociologue et sp?cialiste des questions urbaines. La flamb?e des prix du terrain n’est que le r?sultat d’une sp?culation effr?n?e organis?e par cette ?lite.? D’ailleurs, les prix baissent depuis que les plus fortun?s investissent en bourse plut?t que dans l’immobilier.

Si le Bombay Stock Exchange flambe, l’activit? industrielle, elle, d?cline. Ancienne fiert? de la ville, des centaines de filatures ont ferm? tour ? tour depuis les ann?es 80, laissant 200 000 ouvriers sur le carreau. Aujourd’hui, ces usines sont reconverties en bureaux luxueux, en centres commerciaux, voire en bo?tes de nuit, o? la jeunesse dor?e vient d?penser en une soir?e ce que les anciens ouvriers gagnaient en un an.

?Cette ville est domin?e par l’argent, et ceux qui n’en ont pas n’ont rien ? y gagner?, lance un homme d’affaires. Dans un pays o?, selon la Banque mondiale, 430 millions de personnes vivent avec moins d’un dollar par jour, cette ville mirage fait pourtant r?ver les foules. Cons?quence, aussi, des c?l?bres films de Bollywood ? l’industrie indienne du cin?ma grand public ? qui pr?sentent syst?matiquement une ville de r?ve, univers de luxe que seules les stars de cin?ma richissimes peuvent, dans la r?alit?, s’offrir. Les milliers de paysans d?soeuvr?s qui s’y rendent chaque ann?e en esp?rant y trouver du travail finissent, eux, sur les trottoirs jonch?s de d?tritus. Jusqu’? 300 familles d?barqueraient chaque jour en qu?te d’une vie meilleure. Dans le quartier de Kamatipura, des milliers de jeunes adolescentes, indiennes et surtout n?palaises, s’entassent dans des bordels glauques.

Kamikazes. Pour ne rien arranger, Bombay est aux mains du Shiv Sena, parti d’extr?me droite hindou, aux relents fortement racistes. Quand il ne s’en prend pas aux ?immigr?s? venus des autres Etats du pays pour ?voler? le travail des ?fils de la terre?, ce parti d?nonce la concurrence des produits ?trangers ou encore la ?contamination des esprits? par la culture occidentale. Le chef historique du mouvement, l’inqui?tant Bal Thackeray, a derni?rement pr?conis? la constitution de ?commandos suicides? hindous pour r?pliquer aux kamikazes islamistes soup?onn?s d’?tre ? l’origine d’un double attentat qui a tu? 52 personnes en plein centre ville, le 25 ao?t dernier. Municipalit? fascisante, lib?ralisme ? outrance, in?galit?s sociales criantes et environnement massacr? : Bombay est l’antith?se id?ale de l’esprit du FSM.

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