Les ?paules basses sous sa t?te blanchie, Safar agite un morceau de papier sans cesse pli? et d?pli?. C’est l? que ce sympathisant du Parti de l’ind?pendance nationale, bombard? observateur dans un bureau de vote de la capitale azerba?djanaise, avait, pendant le scrutin mercredi, consign? d’un petit trait vertical chaque d?p?t d’un bulletin de vote. Il en avait compt? 749 en ce jour de pr?sidentielle. Mais expuls? par le pr?sident de la commission ?lectorale lors du d?compte des voix, comme ce fut le cas dans de tr?s nombreux bureaux, le vieil homme ne comprend plus d’o? ont surgi les 400 bulletins suppl?mentaires apparus dans le compte final. Devant le si?ge de son parti, dont le candidat n’a m?me pas franchi la barre de 10 % de suffra ges exprim?s, l’observateur d’un jour se sent trahi, alors qu’Ilham Aliev, fils du tr?s autoritaire pr?sident sortant, Gue?dar Aliev, f?te une victoire au premier tour acquise avec un r?sultat tr?s sovi?tique de 79,55 %. Apr?s les manifestations de protestation de jeudi, qui ont fait officiellement un mort, les autorit?s affirment que l’ordre est revenu dans la capitale et les repr?sailles contre l’opposition ont commenc? : Iqbal Agazad?, un de ses leaders, a ?t? arr?t? vendredi.
Douche froide. Dirig? d’une main de fer par un ex-g?n?ral du KGB pendant trente-quatre ans avec une br?ve interruption de deux ans, ensan glant? par la guerre avec l’Arm?nie voisine et des coups d’Etat, l’Azerba?djan, cette terre caucasienne entre Europe et Asie, a fini par ?tre admis au sein du Conseil de l’Europe en l’an 2000. Mais avec un s?rieux cahier des charges, dont celui d’organiser des ?lections d?mocratiques. Plus d’un millier d’observateurs ?trangers sont venus surveiller le scrutin. Ils sont repartis d??us apr?s avoir constat? le bourrage d’urnes et des irr?gularit?s dans le d?compte. Sans agiter la moin dre menace de sanctions, les diplomates d?ployaient leurs talents en coulisses pour convaincre les autorit?s de revoir le chiffre de leur poulain ? la baisse sans toutefois remettre en cause sa victoire au premier tour.
Cette attitude a eu l’effet d’une douche froide pour une opposition divis?e, qui avait jou? le jeu de la participation. ?Si l’Europe ne veut pas de nous, nous ne regarderons plus vers elle?, lan?ait d?sabus? un responsable local du Parti de l’ind?pendance nationale. Les alternatives sont pourtant limit?es, avec la Russie au nord et l’Iran au sud, tous deux alli?s de l’ennemi arm?nien, qui a arrach? l’enclave du Haut-Karabakh depuis dix ans.
Au parti Moussavat (Egalit?), dont le candidat est arriv? second, l’abattement ?tait ? son comble. Apr?s une nuit et une journ?e d’affrontements sporadiques et meurtriers avec les forces de l’ordre, le si?ge du parti a ?t? encercl? par des policiers nerveux. S’appuyant sur des sondages sortis d’urnes aussi peu fiables que ceux du pouvoir, le candidat du Moussavat, Issa Gambar, avait commis l’erreur de se proclamer pr?sident d?s le mercredi soir. Au milieu des bris de vitres et des militants endormis, les lendemains semblaient moins chantants. ?Plus de la moiti? de nos observateurs n’ont pas pu participer au d?pouillement. Ce n’?tait pas une ?lection mais une op?ration de police?, l?chait, apr?s les heurts, une porte-parole du parti.
Derni?re chance. Parmi les opposants, c’est la col?re, voire le d?sespoir. ?J’ai d? prendre ma retraite anticip?e ? 52 ans, parce que je suis dans l’opposition?, explique une enseignante. ?Pour l’opposition, c’?tait l’?lection de la derni?re chance : cela fait dix ans qu’ils attendent et, ?tre dans l’opposition en Azerba?djan, c’est se priver de tout et priver, voire exposer sa famille, c’est aussi n’avoir personne ? qui se plaindre?, rappelle l’analyste Eldar Namazov, qui plaide pour un dialogue, afin que les diff?rends ne se r?glent plus dans la rue.