Debating India
Home page > Public directory > Social and Economical Issues > Une catastrophe ?cologique caus?e par... Enron

INDE

Une catastrophe ?cologique caus?e par... Enron

Charubala Annuncio

Thursday 28 February 2002, by ANNUNCIO*Charubala

Article Outlook India, paru dans le Courrier International, ?dition du 28 f?vrier 2002.

Le g?ant am?ricain de l’?nergie a entra?n? dans sa faillite une entreprise indienne, dont les activit?s ont d?vast? ces derni?res ann?es toute une r?gion dans le Maharashtra (...)

Pr?s de Chiplun 170 km au sud de Bombay, une route impeccablement goudronn?e m?ne ? la centrale de la Dabhol Power Company [DPC, dont l’am?ricain Enron d?tenait 65 % des capitaux]. Hormis quelques rares v?hicules, la route est toujours d?serte. Mais la centrale, install?e sur les 610 hectares qui ? l’origine appartenaient ? plusieurs villages, t?moigne des ravages de ce pr?dateur qui a chang? de mani?re irr?vocable l’histoire et la g?ographie de cette terre. En juin 2001, la centrale a ?t? ferm?e ? cause de difficult?s financi?res [li?es ? la situation de la maison m?re, Enron]. Mais le pass? hante toujours les habitants de la r?gion. Ici, personne n’a ?t? ?pargn?.

La centrale a ?t? construite sur les terres ancestrales de 700 familles. "Les plans ont ?t? trac?s dans un bureau sans se soucier de l’occupation des sols", d?plore Vivek Vaidya, un riche producteur de mangues. Peu importait alors si une parcelle abritait une maison, un verger ou des r?coltes. Hamid Chougule fut la premi?re personne ? s’opposer ? ces machinations. Ses 800 manguiers et cocotiers ont ?t? arrach?s en un week-end. Il n’?tait pas parvenu ? obtenir un sursis des tribunaux. Le d?cret du Maharashtra Industrial Development Corporation (MIDC) ne permet pourtant pas l’acquisition d’une terre tant que 60 % des propri?taires n’ont pas donn? leur accord.

La vapeur de la tour de refroidissement de la centrale, entr?e en activit? en 1999, a d?truit la r?colte de mangues durant ces trois derni?res ann?es. Jusqu’en 1994, Mehmood Ibrahim Mastaan, 73 ans, ?tait un ardent partisan du projet. Il ?tait alors chef du village. Mais il s’est "converti" quand les b?n?fices annuels de sa r?colte de mangues ont chut? de 150 000 ? 30 000 roupies. La cimenterie r?pand une fine poussi?re qui stagne dans l’air. Vivek Vaidya nous montre les feuilles de ses manguiers recouvertes de poussi?res.

Les r?serves d’eau de la r?gion ont ?galement subi des cons?quences n?fastes. Snehal Vaidya, ancien sarpanch [chef du conseil villageois] d’Anjanvel, vit sur la colline qui s?pare la centrale de son village. Une source d’eau s?culaire fournit depuis des g?n?rations les besoins en eau de sa famille. Aujourd’hui, le lit de la rivi?re est de couleur rouge brique et une pellicule huileuse couvre la surface. Selon des rumeurs provenant de villageois qui travaillaient ? la centrale, six valves laissant s’?chapper du naphta seraient rest?es ouvertes. Apr?s l’analyse d’un ?chantillon d’eau pr?lev? dans le puits du village, un institut de recherche a conclu qu’elle ?tait pollu?e, mais demande 5 millions de roupies [118 000 euros] pour identifier la cause de cette pollution. Il n’y a pourtant aucune autre industrie dans les alentours. M?me l’eau de mer n’a pas ?t? ?pargn?e. Deux jet?es et une digue ont ?t? construites, affectant le d?bit du bras de mer, appel? ici le fleuve Vaishishti, et autres affluents. Ainsi, un cours d’eau saisonnier ? Anjanvel inonde aujourd’hui une bonne partie du village lors de la mousson, une chose qui n’?tait jamais arriv? auparavant.

"L’?conomie locale en a pay? le prix fort", s’insurge Baba Bhalekar, sarpanch du village de p?cheurs de Veldur. Plus de la moiti? des 3 000 p?cheurs sont des petits artisans qui utilisent des embarcations primitives ou jettent leurs filets depuis la c?te. Au mieux, ils ont de petits bateaux ? moteur. Comme la jet?e a ?t? construite au confluent de l’anse et de la mer, une zone riche en poissons, la quantit? de poissons ne repr?sente plus qu’un dixi?me de ce qu’elle ?tait il y a quelques ann?es. La majorit? des p?cheurs n’ont pas les moyens d’acheter des bateaux plus grands pour p?cher en haute mer. Il y a peu, un bateau partag? par quatre ou cinq personnes rapportait entre 200 et 400 roupies par jour [entre 4,5 et 9,5 euros]. Aujourd’hui, c’est ? peine 25 roupies. Ces gens ont re?u de maigres compensations : 30 000 roupies par personne en ?change du travail de toute une vie.

Pour Atmaram More, le sarpanch d’Anjavel, l’?tranger suit toujours le m?me principe : diviser pour mieux r?gner, et la DBC n’a pas d?rog? ? la r?gle. Elle a favoris? la cr?ation de groupes de gens satisfaits en les payant grassement et ainsi d?truit l’unit? du village. Dans le village de Vanvase, la DBC a lou? des terres pour cinq ans pour un loyer de 250 000 roupies par hectare. Elle a subventionn? des ?coles et des Rotary Clubs dans la ville de Gugahar et bris? l’opposition. La main-d’oeuvre ?tait recrut?e chez les entrepreneurs, des gens de la r?gion pour la plupart. Abdul Qadar Pangarkar est un bel exemple de r?ussite. Comme il avait ses entr?es au Parti r?publicain indien [une formation locale repr?sentant les basses castes], il a utilis? ses contacts pour obtenir des contrats et ramenait ainsi ? la maison 100 000 roupies par mois dans ses bons jours. Aujourd’hui, il est l’heureux propri?taire de la maison la plus cossue du village et d’une voiture. Depuis la fermeture de la centrale, il a op?r? un repli strat?gique derri?re l’opposition.

"Non contente d’avoir d?truit notre ?conomie et notre ?cosyst?me, la centrale a ?galement d?truit le tissu social de notre r?gion", affirme Baba Bhalekar. Et il se fait seulement l’?cho d’une foule d’autres personnes. Les fr?res se d?chirent, p?res et fils ne se parlent plus. Les gens renient leur propre famille pour l’argent. Chaque bagarre, chaque querelle tourne autour de la centrale. "Le flot incessant d’argent de la centrale a fait fleurir tous les vices", confirme la femme d’un cadre de la centrale. "Nous avons ?t? t?moins de la corruption des ?mes par tous les moyens imaginables."

Le soleil vient de se coucher dans la mer et les villages sont plong?s dans l’obscurit? la plus totale. Les gens doutent que le courant soit r?tabli ce soir. "La centrale nous a abandonn?s ? notre d?nuement et nous a d?rob? notre innocence", s’insurge un vieil homme. Aujourd’hui, ils attendent que l’?lectricit? revienne et que justice soit faite. Dans cet ordre.

P.S.

GDF serait int?ress?

Apr?s la faillite d’Enron, en d?cembre dernier, la question pour l’Inde est de savoir ce que va devenir la Dabhol Power Company (DPC), dont 65 % du capital ?tait d?tenu par le g?ant am?ricain de l’?nergie. Plusieurs entreprises europ?ennes semblent ?tre int?ress?es par cette soci?t? indienne, dont TotalFinaElf et Gaz de France. Par ailleurs, le vice-pr?sident am?ricain, Dick Cheney, serait intervenu l’an dernier aupr?s de plusieurs hommes politiques indiens en vue d’aider Enron ? obtenir le r?glement d’une dette de plus de 60 millions de dollars due par la DPC. La soci?t? am?ricaine avait investi pr?s de 3 milliards de dollars dans la centrale de la DPC ? Chiplun (Etat de Maharashtra), dont les activit?s sont arr?t?es depuis juin 2001.

Article Outlook India, paru dans le Courrier International, ?dition du 28 f?vrier 2002.

SPIP | template | | Site Map | Follow-up of the site's activity RSS 2.0