358 enqu?tes antidumping ont ?t? ouvertes l’an dernier dans le monde, contre 251 en l’an 2000 et 232, en moyenne annuelle, lors de la pr?c?dente d?cennie. Selon le cabinet de juristes Mayer, Brown, Rowe & Maw, auteur de ce d?compte, cette ?volution traduit une mont?e g?n?rale du protectionnisme. L’Inde et les Etats-Unis sont les deux pays qui ont le plus utilis? cette proc?dure contre leurs partenaires commerciaux.
Quant ? la Chine, elle se situe ? la douzi?me place du classement. Ce pays est ?galement celui qui est l’objet du plus grand nombre d’enqu?tes antidumping.La Chine et l’Inde, les deux grandes puissances du continent asiatique, ont en apparence beaucoup en commun. Les deux pays poss?dent une civilisation ancienne, une cuisine ?pic?e, la bombe atomique, une population tr?s diverse de plus de1 milliard d’habitants et des capacit?s ?conomiques qui semblent illimit?es. Ils partagent ?galement de nombreux probl?mes : la pauvret? de masse, une disparit? croissante entre les villes et les campagnes, une administration oppressive et une corruption g?n?ralis?e.
Pourtant, aux yeux des investisseurs ?trangers, les diff?rences paraissent plus flagrantes que les similitudes. Alors que l’essor ?conomique soutenu de la Chine continue de les fasciner, l’Inde reste rel?gu?e ? l’arri?re-plan. En 1999, la Chine a absorb? plus de 40,3 milliards de dollars d’investissements directs ?trangers, contre 2,1 milliards seulement pour l’Inde. Les investissements ?trangers de portefeuille se sont traduits par de nombreuses prises de participation dans de gigantesques firmes chinoises alors que les entreprises indiennes, de plus petite envergure, n’en ont pratiquement pas b?n?fici?.
La capitalisation boursi?re de Mobile China, l’entreprise qui, avec 54,7 milliards de dollars de fonds propres, est la mieux valoris?e du pays, repr?sente 45 % de la valeur totale du march? boursier indien. "La pr?sence de la Chine dans tout portefeuille d’actions est imp?rative", observe un gestionnaire de portefeuille. "L’Inde n’entre pas encore dans cette cat?gorie."
Il y a dix ans, la Chine et l’Inde avaient ? peu pr?s le m?me PIB par habitant. Aujourd’hui, celui de la Chine est deux fois plus important que celui de l’Inde. Malgr? le lancement, en 1991, de r?formes du march?, l’Inde ne peut se pr?valoir du m?me dynamisme que sa rivale.
Quelles sont les raisons du gouffre b?ant qui s?pare les deux pays ? La puissance croissante de la Chine va-t-elle amener l’Inde ? suivre son exemple ? Pour Tarun Das, le directeur g?n?ral de la Conf?d?ration de l’industrie indienne, l’Inde, contrairement ? la Chine, souffre d’un manque d’ "ambition nationale". Selon lui, ceci s’explique en partie par l’importance que l’Inde attache, depuis son ind?pendance, ? l’autarcie et ? son choix d?lib?r? d’un taux de croissance lent. "L’Inde pourrait afficher un taux de croissance de 10 %, tant il y a de capacit?s inutilis?es dans son ?conomie, dit-il. Mais les gens qui croient ? la possibilit? d’une croissance sup?rieure ? 7 % pour les prochaines ann?es sont rares et ceux qui se satisfont d’une croissance de 5 % sont l?gion."
Une autre th?orie tr?s r?pandue, m?me si elle est contest?e, est que l’Inde est trop d?mocratique pour r?ussir. Selon un rapport r?cent de l’Institut de la Banque de d?veloppement asiatique, le miracle ?conomique que l’Asie de l’Est a connu entre les ann?es 60 et 80 s’expliquerait, en partie tout au moins, par les m?thodes autoritaires de ses gouvernements. Par leur conduite implacable, ces derniers auraient en effet r?ussi ? faire r?gner la discipline sur les lieux de travail, ? mobiliser l’?pargne des m?nages, ? mettre en place des politiques industrielles et ? faire b?n?ficier les soci?t?s exportatrices de cr?dits ? bon march?.
L’actuel gouvernement chinois a eu recours ? ce genre de m?thodes autocratiques pour fixer les priorit?s nationales et d?velopper l’?conomie. Au dire d’un ?conomiste de P?kin, la Chine n’aurait jamais pu ?tre admise au sein de l’OMC si elle avait ?t? une d?mocratie, car des groupes d’int?r?ts locaux s’y seraient oppos?s.
Toutefois, si l’on en croit plusieurs ?conomistes indiens, rien ne permet d’affirmer que les gouvernements autoritaires obtiennent n?cessairement de meilleurs r?sultats ?conomiques. L’exp?rience d’une grande part de l’Afrique et de l’Am?rique latine montre combien il est dangereux de g?n?raliser. Personne ne souhaite d’ailleurs s?rieusement que l’Inde renonce ? la d?mocratie, que beaucoup consid?rent comme la plus grande r?ussite du pays. Le rapport de l’Institut de la Banque de d?veloppement asiatique recommande au contraire que les pays en d?veloppement qui obtiennent des r?sultats m?diocres ?largissent l’?ventail des libert?s ?conomiques et renforcent les droits ? la propri?t? [priv?e].
Le manque de lib?ralisme ?conomique de l’Inde a ?t? r?cemment mis en ?vidence par un projet de recherche men? conjointement par la Conf?d?ration de l’industrie indienne et la Banque mondiale. L’?tude montre tout d’abord que les formalit?s administratives paralysent le monde des affaires. Les patrons passent en moyenne 16 % de leur temps ? traiter avec des fonctionnaires, contre 11,4 % en Chine et 5,8 % dans de nombreux pays d?velopp?s.
En second lieu, les fabricants indiens sont desservis par des co?ts de transport ?lev?s. Gr?ce ? la meilleure efficacit? du r?seau de distribution et du syst?me portuaire, les fabricants chinois de textile d?boursent 37 % de moins que leurs homologues indiens pour exp?dier leurs tissus aux Etats-Unis.
Troisi?mement, les Indiens doivent faire face ? des co?ts ?nerg?tiques exorbitants et ? un syst?me d’alimentation en ?lectricit? peu fiable. Au point que 70 % des entreprises interrog?es pour les besoins de l’?tude avaient ?t? contraintes de se doter de leurs propres g?n?rateurs. Enfin, l’industrie indienne souffre du niveau ?lev? des taux d’int?r?t r?els, cons?quence des d?ficits budg?taires massifs de l’Etat et des taux d’int?r?ts r?glement?s appliqu?s sur les comptes d’?pargne. Les charges d’int?r?ts des entreprises indiennes repr?sentent 5,5 % de leur chiffre d’affaires, contre 4 % dans la plupart des autres pays asiatiques.
Les entreprises qui ont pu ?chapper ? l’emprise ?touffante de la bureaucratie, comme par exemple la nouvelle g?n?ration de soci?t?s de logiciels, ont montr? qu’il ?tait possible de soutenir la concurrence sur le march? mondial. Cependant, m?me dans l’informatique, la Chine appara?t aujourd’hui comme une menace. Kiran Karnik, le pr?sident de l’Association nationale des entreprises de logiciels et de services, souligne que le gouvernement chinois est en train d’investir massivement dans les ressources humaines n?cessaires au d?veloppement de sa propre industrie du logiciel. Si l’Inde veut conserver son avance, elle a deux ou trois ans devant elle pour accro?tre ses investissements.
Toutefois, certains ?conomistes indiens soutiennent que l’Inde ne peut - et ne doit pas - s’inspirer de son voisin chinois. Selon eux, le taux de croissance de la Chine est largement exag?r?, son traitement coercitif de la main-d’oeuvre et des minorit?s ethniques est inacceptable et son r?gime politique n’est pas viable. Le mod?le ?conomique de la Chine, comme celui de beaucoup de Dragons d’Asie du Sud-Est, n’a pas ?t? pourvu de freins. Il est donc condamn? ? foncer dans le mur. Selon eux, lorsque ce jour arrivera, P?kin sera oblig? de lib?raliser son r?gime politique et de suivre la voie d?mocratique de l’Inde.