Darfour, la terre des Fours. Cette immense r?gion du Soudan est depuis plus d’un an le th??tre d’une guerre oubli?e, une de plus sur un continent qui les collectionne. Dix ans apr?s le g?nocide au Rwanda, un nouveau drame se joue en terre africaine et, une fois de plus, les civils sont les premi?res victimes : il n’a pas fallu plus que cette co?ncidence de dates pour que r?apparaisse le spectre d’un g?nocide. Le mot n’a pas ?t? prononc? officiellement dans l’enceinte de l’ONU, mais l’id?e y est. Mukesh Kapila, coordinateur des affaires humanitaires de l’ONU au Soudan, n’a-t-il pas parl? le mois dernier de ?la plus grande catastrophe humanitaire dans le monde? ? Filant une m?taphore p?rilleuse, il ajoutait : ?J’?tais au Rwanda durant le g?nocide. Le niveau de violation des droits de l’homme au Darfour y est semblable. C’est davantage qu’un simple conflit. C’est une tentative organis?e de se d?barrasser d’une population. Je ne comprends pas pourquoi la communaut? internationale n’en fait pas plus.?
Acc?s interdit. Crions au loup, quoi qu’il se passe, nous serons couverts, au risque de banaliser le mal : telle est d?sormais la devise de l’ONU. Elle n’aide, h?las, pas ? comprendre un conflit aussi complexe que celui du Darfour o?, certes, des ?crimes contre l’humanit?? ont ?t? et continuent d’?tre commis en grand nombre. Mais n’est-ce pas le cas partout o? ont lieu des guerres civiles du pauvre, tout r?cemment encore au Burundi, au Congo-Kinshasa, en Centrafrique ou en Angola ? Entre le trop et le trop peu, il est difficile de trouver le juste ?quilibre, surtout lorsque Khartoum a interdit l’acc?s de la plus grande partie d’une r?gion grande comme la France aux humanitaires, diplomates ou journalistes.
Le conflit au Darfour n’est ni religieux (il n’y a que des musulmans), ni ?conomique (il n’y a ni or, ni diamant, ni p?trole), ni m?me g?ostrat?gique. Il a des racines ethniques (tribus arabes contre africaines), comme l’explique justement Human Rights Watch, mais trouve avant tout son origine dans la sous-repr?sentation de cette r?gion au sein du pouvoir central. Le Darfour a toujours ?t? un r?servoir d’officiers pour l’arm?e soudanaise : y tol?rer une r?bellion arm?e revient ? admettre la contestation ? l’int?rieur m?me du syst?me, et non plus sur ses marges, comme cela a ?t? le cas avec la r?bellion sudiste du colonel John Garang en lutte avec Khartoum depuis 1983 (conflit qui a fait plus d’un million et demi de morts sans qu’on ne parle jamais de g?nocide). La guerre au Darfour est exacerb?e par le fait que le r?glement de l’interminable guerre entre nord et sud approche du d?nouement. D’?pres n?gociations, supervis?es par les Etats-Unis, sont en cours ? Naivasha (Kenya), entre le gouvernement et l’Arm?e/Mouvement de lib?ration des peuples du Soudan (SPLA/M) de Garang. Pour le pouvoir, hors de question de laisser s’ouvrir un nouveau front qui pourrait faire capoter un accord d?j? ch?rement pay?, puisqu’une part des recettes p?troli?res ira aux sudistes.
Guerre privatis?e. C?t? rebelles, au contraire, plus la crise prend de l’ampleur et plus ils ont de chances de se retrouver ? la table des n?gociations. Hassan al-Tourabi, l’ex-?minence grise islamiste du pouvoir tomb?e en disgr?ce, attiserait le conflit au Darfour, o? il dispose de relais, pour revenir dans le jeu politique. Faute d’avoir ?t? inclus dans le processus de Naivasha qui n’en finit pas de s’?terniser, les rebelles sont cens?s n?gocier un accord avec le gouvernement ? N’djam?na (Tchad). Mais les n?gociations ne d?marrent pas tant chaque partie y met de la mauvaise volont?. La guerre au Darfour est bien le fruit de presque deux d?cennies de ?privatisation? de la guerre civile au Soudan. D?s la fin des ann?es 1980, le Premier ministre ? d?mocratiquement ?lu ? Sadeq al-Mahdi avait arm? les tribus arabes pour suppl?er l’arm?e contre la r?bellion sudiste. Ces Jenjawids vivent de la guerre comme d’autres de l’agriculture ou de l’?levage : pour y changer quoi que ce soit, il faudra bien plus qu’une r?solution de l’ONU ? Gen?ve et la vertueuse mais si souvent amn?sique indignation des ?pourfendeurs de g?nocides virtuels?.